Le Bardo-Thödol.

Remarque. L'humanité de l'Antiquité croyait que Dieu lui parlait à travers les rêves et les visions. On peut faire l'hypothèse que les rares lettrés de cette époque-là ne prenaient la peine de consigner par écrit que ce qu'ils estimaient être suffisamment important, par exemple la parole divine (=leurs rêves et leurs visions). Cela expliquerait la raison pour laquelle tous les textes sacrés sont pleins d'incohérences, de contradictions, de bizarreries et de "miracles". Exactement comme dans les rêves. Mais dans ce cas, tous ces textes doivent impérativement être traduits, si on veut accéder à leur sens véritable. C'est l'exercice auquel je vais me livrer maintenant.

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Interprétation symbolique du livre tibétain des morts

Ce sont des textes (plus ou moins connus) qui ont incité notre humanité à croire en la réincarnation. Parmi ces textes, il y en a un qu'on trouve dans le Livre Tibétain des Morts (aussi appelé : Bardo-Thödol). (Editions Albin Michel, collection "Spiritualités vivantes").

Comme tous les textes sacrés, celui-ci possède un second degré. Globalement, il pourrait bien s'agir des multiples morts intérieures par lesquelles l'homme doit passer, afin d'accéder peu à peu à la libération de son âme, c-à-d à la conscience totale.

Dans ce cas, le processus se déroulerait, non pas au moment de la mort, mais tout au long de la vie.

L'introduction

Le moment de l'application : Lorsque cesse la respiration extérieure et que le souffle afflue dans le canal subtil central et que la connaissance apparaît comme étant lumière, lucidité de l'esprit en laquelle rien n'est produit. Après quoi, le souffle s'échappant dans les canaux subtils latéraux de droite et de gauche, les impressions du bardo s'élèvent progressivement dans l'esprit...(p.92)

On a généralement vu là une approche de la mort physique. On peut tout aussi bien y voir une approche de cette mort temporaire qui serait tout simplement le sommeil. Si on relit le texte selon cette nouvelle optique, on peut parfaitement lui trouver ce sens. J'ajoute que le mot "connaissance" est associé à "lumière" et à "lucidité de l'esprit", ce qui évoque sans problème la zone consciente. La contradiction n'est qu'apparente, puisque le rêve, qui intervient pendant le sommeil, permet à l'être humain de prendre conscience de sa réalité intérieure, à condition d'être compris.

Dans ce cas, il est intéressant d'essayer d'approfondir le mot Bardo. Que signifie-t-il? D'après Alexandra David-Neel, cela signifie "le passage entre deux états". Les deux états en question ont l'air d'être la vie et la mort, mais pourraient tout aussi bien être l'éveil et le sommeil. Pourquoi pas? Le texte lui-même en donne plus loin une explication fort intéressante :

Tu disposes de ce qu'on appelle le corps-mental venu des tendances inconscientes de ton esprit. Comme tu n'as plus de corps de chair et de sang, tu n'as rien à craindre des sons, de la lumière et des rayonnements qui te parviennent puisque tu ne peux mourir. Il te faut seulement les reconnaître comme les manifestations de tes propres projections. Sache que c'est le bardo. (p.113)

Les mots "inconscient" (très souvent utilisé dans les textes bouddhiques), "corps mental" et "projections" parlent nettement de notre dimension psychique. Or, notre inconscient se manifeste surtout pendant la nuit, lorsque nous dormons. Le texte dit "puisque tu ne peux mourir", alors qu'on attendait "puisque tu es déjà mort..." Effectivement, ce n'est pas notre corps de chair et de sang qui agit, lorsque nous vivons un rêve très angoissant. Le rêveur n'a rien à craindre des "sons" et des images (lumière et rayonnements) qui l'atteignent, même lorsqu'il est en danger de mort, puisqu'il lui suffit de se réveiller pour que tout rentre dans l'ordre (= "Tu ne peux mourir."). C'est ce que pourrait bien dire le texte : Il te faut les reconnaître = Il te faut reconnaître de quoi il s'agit. Effectivement, il suffit de comprendre son cauchemar pour avancer dans la connaissance de soi. Dans le cadre de cette explication, il est très possible que bardo = rêve - qui est bien un passage entre deux états.

Revenons au texte de départ. Lorsque l'être humain se détourne du monde extérieur, pour chercher sa "respiration" dans son monde intérieur, il alimente son conscient grâce à son inconscient, et les impressions laissées par ses rêves s'élèvent progressivement dans son esprit.

Mode d'application : Il est recommandé d'entreprendre le transfert de conscience au moment où la respiration est près de s'arrêter. (p.92)

Si on cesse de penser qu'il s'agit vraiment de la mort physique, pour prendre la piste que je propose, il n'y a aucune contradiction. "Le transfert de conscience" (= le passage des contenus de l'inconscient dans le conscient) se fait au moment où l'être humain se détourne du monde extérieur, afin de chercher sa respiration dans son espace intérieur... Ce qui est une façon de laisser mourir la partie de soi-même qui était attachée au monde. Aucun bouddhiste ne me contredira sur cette dernière phrase. Or, il y a transfert de conscience chaque fois qu'un rêve est correctement traduit.

L'entrée dans la matrice.

Plus loin, se trouve un passage très étonnant, qui tente d'expliquer les raisons pour lesquelles on ne doit pas entrer dans la matrice (ceci, apparemment, afin de ne pas se réincarner). Le premier degré étant non seulement invérifiable, mais aussi complètement incohérent du point de vue de la logique, j'ai cherché à savoir s'il n'y avait pas une autre explication. Mais voici d'abord le texte:

Ainsi qu'il a été dit, tu verras un homme et une femme s'unir. À ce moment-là, à cause de ton aversion, tu entreras dans la matrice, et deviendras cheval, oiseau ou être humain ou quelque chose de semblable. (p.190)

Du strict point de vue de l'explication de texte, il est évident qu'il y a un problème. Un couple d'humains ne peut concevoir un cheval ou un oiseau... Or, si ce texte est vraiment important, il doit être intelligent. Le seul moyen de lui rendre cette intelligence, c'est de lui accorder un sens symbolique. Cheval = Inconscient. Oiseau = Âme... Cela devient déjà plus acceptable, puisque ce sont deux aspects de l'être humain (= ou de "quelque chose de semblable").

J'ajoute que, sur le plan concret, ce qui entre dans la matrice - à ce moment précis - c'est le pénis de monsieur. Restons simples... et ce sera peut-être intéressant d'y revenir tout à l'heure. En attendant, il faudrait savoir ce que c'est que cette "aversion." La suite du texte est proprement stupéfiante :

Si tu dois devenir un homme, tu te vois apparaître toi-même mâle et tu éprouves un sentiment de haine à l'égard de ton père, et une attirance jalouse à l'égard de ta mère. Mais si tu dois devenir une femme, tu te vois femelle, et tu éprouves un sentiment de jalousie haineuse à l'égard de ta mère, et un sentiment d'attirance et de convoitise à l'égard de ton père.

On croirait entendre Freud et son complexe d'Oedipe. Sauf qu'ici, il s'agirait d'un être humain en train de se réincarner... ce dont je doute fort, toujours pour la même raison que cela reste invérifiable. Si l'homme peut accéder à la connaissance de lui-même, il faut obligatoirement qu'il puisse avoir des preuves des explications qu'on lui propose.

Il y a donc une autre entrée.

Dans la langue symbolique, tous les animaux représentent des aspects de l'être humain, et les bébés-animaux sont souvent révélateurs d'un aspect enfant chez un adulte.

Le texte semble bien parler du plaisir sexuel généré par la première expérience amoureuse. Je m'appuie toujours sur des situations basiques parce que collectivement vraies. Or, ce plaisir est universellement ressenti, surtout par les garçons, et on peut bien identifier ici un garçon : La substance liquide = le sperme = la "liqueur séminale", qui vient d'abord, et permet au pénis de devenir "substance solide", et de "grandir" ... Et, effectivement, lorsque l'orgasme est terminé, beaucoup d'amants (et amantes) "ouvrent les yeux" au sens propre.

Mais le sens figuré exige d'être pris en compte: Ouvrir les yeux est une expression connue, qui parle de prise de conscience = Ouvre les yeux sur toi-même, et prends conscience de ta véritable situation psychologique : bien qu'adulte dans ton corps (=tu viens de faire l'amour), tu es resté un petit garçon dans ton âme, face à tes parents (le jeune chiot).

Etais-tu précédemment un être humain, te voilà devenu chien, et contraint de supporter les souffrances d'une vie de chenil, ou de porcherie, ou de fourmilière, comme un insecte dans son trou, un veau, un chevreau ou un agneau ; tu ne peux plus faire demi-tour.

Le trou est symboliquement l'utérus maternel, dans lequel tant de gens se retrouvent, pour avoir été incapables d'en sortir. Cela les confine dans une vie rétrécie, une vie animale, une vie d'enfant, malgré le temps qui passe et vieillit leur corps.

L'allusion au chien évoque cette obéissance que les enfants adultes croient devoir à leurs parents, et qui perdure parfois malgré la vieillesse et les vrais besoins de l'âme. (cf les Sectes). Bien entendu, cette obéissance sera souvent vécue aussi vis-à-vis d'un chef, un patron, un supérieur (cf Psychiatrie). Cela débouche facilement sur le harcèlement moral, ou toute autre situation injuste (par exemple un mariage difficile) subie par le sujet, qui est incapable de s'en libérer parce qu'il est toujours enfermé dans l'utérus maternel (ce que le bardo-thödol exprime par ces mots, très proches : N'entre pas dans la matrice.)

L'allusion au porc évoque plutôt cette dépendance au sexe, (par exemple le don-juanisme), et qui traduit souvent ce besoin irrépressible de se retrouver vraiment dans l'utérus maternel, besoin jamais satisfait, puisqu'aucune conquête féminine ne sera jamais semblable à la mère toute puissante...

L'allusion aux fourmis évoque - Soit une inconscience totale, par rapport à cette situation psychologique. - Soit le rôle de l'ego, capable de "coloniser" l'être humain, d'autant plus facilement qu'il est resté infantile, aspect dont parlent les "petits" de la vache, de la chèvre et de la brebis (trois grands symboles maternels).

Si cette traduction est exacte, le texte dit que les souffrances de la vie sont directement liées à cet état de dépendance (= de libération non accomplie par rapport aux parents).

Tu devras endurer le mutisme et toutes sortes de souffrances dans un état de grande stupidité et d'ignorance. Ainsi tourneras-tu enchaîné à la ronde des six états d'existence, parmi les êtres infernaux et les esprits avides, au milieu de tourments innombrables. Il n'y a pas de plus grande violence, de plus grande peur, de plus grande frayeur que cela.

En lisant le texte de cette façon, on peut faire le lien avec tous ces êtres humains enfermés dans leurs souffrances, incapables même de les exprimer, parce qu'ils n'en ont pas une conscience claire... La chaîne, je le rappelle, parle en général du cordon ombilical, et le Six est un grand symbole, justement, de l'impossibilité de prendre conscience.

C'est dans ce contexte, bien sûr, que l'ego (= les esprits avides et les êtres infernaux) peut le plus facilement installer sa tyrannie. Les tourments qu'il génère sont innombrables. Malheureusement, qu'on soit bouddhiste ou non, qu'on croie en ce texte ou non, on risque fort d'être justement dans cette situation - qu'on craint pour sa prochaine vie - et qui touche en réalité douloureusement la vie actuelle.

Hélas, hélas, que c'est terrifiant, hélas ! Ceux qui n'ont pas reçu l'enseignement d'un Lama tomberont dans les précipices et les gouffres du monde du cycle des existences où ils seront éternellement pourchassés par des souffrances abominables. Ecoute donc mon enseignement. Je t'ai montré les instructions pour fermer la porte de la matrice en conjurant l'attirance et l'aversion. Ecoute ces paroles et souviens-t'en ! (p.191)

Comme toujours, l'enseignement parle de connaissance de soi, et le Lama évoqué dans le texte symbolise (pour moi) l'instance intérieure que chaque être humain porte en lui (lama pour les Bouddhistes, prêtre pour les Chrétiens, chaman pour les Indiens etc...). Mais en aucun cas, cette instance ne peut être un être humain extérieur, car personne ne peut savoir ce qui se passe réellement à l'intérieur d'un individu, à part lui-même. Mais pour cela, il faut qu'il ait accès à cette connaissance, distillée par ses propres rêves, et dont toutes les Ecritures Sacrées lui parlent aussi, de façon collective. (Bible : "Ils ont des yeux pour ne pas voir, et des oreilles pour ne pas entendre.")

Ici : Ecoute donc ces paroles et souviens-t'en.

Malheureusement, s'il ne les comprend pas, il tombe dans le précipice et le gouffre, qui sont justement deux grands symboles, à la fois de l'utérus et de l'inconscient, sans oublier le sens de "dépression", souvent symbolisée dans un rêve par un "creux" dont on n'arrive pas à sortir.

Inversement, sitôt que l'être humain se met à l'écoute de cet enseignement, il peut enfin "fermer la porte de la matrice" (= il cesse d'être prisonnier de l'utérus maternel), parce qu'il a coupé son cordon ombilical. Il n'éprouve plus ni attirance, ni aversion. Il est enfin libre (= adulte) en face de ses parents. Cela fait une grande différence dans la conduite de la vie. Cela suppose que l'enseignement en question a été réellement compris. L'accès au monde extérieur est devenu possible - dans la liberté.

Il est intéressant de revenir un instant sur la description du Bardo.

Ainsi, ô noble fils, si tu ne reconnais pas tout ceci comme étant tes propres projections, quelles qu'aient été les pratiques que tu as accomplies de ton vivant parmi les hommes, si tu ne rencontres pas ces enseignements, tu auras peur des lumières, tu seras effrayé par les sons et terrifié par les rayonnements. Si tu ne connais pas la clef des instructions, tu ne reconnaîtras pas les sons, les lumières et les rayonnements et tu erreras dans le cycle des existences.

Personnellement, je pense qu'on peut parfaitement identifier ici les cauchemars, qui font souvent si peur, et qui cessent d'intervenir dès que le sujet les a compris. Or les cauchemars mettent en scène, soit une situation extérieure qui terrifie le rêveur (un proche), soit une situation intérieure qui a le même effet (l'ego). Mais si on ne connaît pas la clef des instructions (= le code), qui permet de comprendre son cauchemar, on continue à le faire, encore et encore (récurrent ou différent, mais ayant le même sens). L'intérêt réel, c'est que le rêveur réussisse à "reconnaître les sons, les lumières et les rayonnements comme ses propres projections," c'est-à-dire comme son propre vécu (= vie extérieure et/ou vie intérieure). C'est à ce moment-là qu'il en deviendra le maître, ce qu'il pourra vérifier directement, car il se sentira beaucoup mieux et ne sera plus torturé par ses cauchemars.

"Le sens de cet enseignement est que tu reconnaisses dans chacune des apparitions, si horrible soit-elle, la manifestation de tes pensées." (p.112).

Or, j'identifie presque toujours l'ego dans une apparition particulièrement horrible. Quand cela correspond à la vérité du rêveur, cela suffit pour le rassurer et lui permettre d'être mieux armé contre son ennemi intérieur qui "pense" à sa place dans sa tête...

Si mon analyse est juste, cela signifie que toutes les pratiques accomplies (quelle que soit la religion adoptée) resteront sans effet, tant que l'homme ne connaîtra pas la clé des instructions. Autrement dit, cela signifie que ce texte (comme tous les textes sacrés) possède un sens crypté, qui reste inaccessible à celui qui n'en possède pas la clé. Et si le Bardo est vraiment le rêve, alors, cela signifie que l'homme ne pourra vraiment achever son évolution que lorsqu'il comprendra les messages de son inconscient. C'est une hypothèse que je vérifie tous les jours en consultation.

Très bizarrement, la suite du texte explique comment entrer dans la matrice.

Demande à tous les Bouddhas de bénir cette matrice comme un palais divin et de te transférer leur pouvoir de réalisation. Et ainsi, entre dans cette matrice.

L'idée que l'utérus d'une femme puisse être comparé à un palais divin me laisse perplexe. Je ne peux me laisser séduire par cette idée, bien que je sois une femme... Du reste, tout de suite après, le texte parle de matrice pure et de matrice impure. Qui va en décider? Je préfère penser que tout ce qui est matière (la matrice de chair) appartient à la matière (ni pure, ni impure, mais simplement soumise à la mort). Inversement, tout ce qui est Esprit (l'âme consciente et inconsciente) appartient à l'Esprit, ce qui semble cohérent puisqu'on nous parle de "Palais divin". On pourrait dire que l'inconscient est une matrice de vie (impure si elle est soumise à l'ego, pure si elle est libérée de lui). Mais cela suppose que l'homme en prenne conscience.

On peut également relier ce texte à un passage connu de l'Evangile de Jean.

"En vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? peut-il rentrer dans le sein de sa mère, et naître ?"

Ici, il s'agit d'une seconde naissance, ( qui n'a pas du tout été comprise comme une réincarnation ) qui, de toute façon, est donnée comme obligatoire. Certes, Nicodème reste au niveau du corps. Il est impossible de retourner dans l'utérus maternel ! C'est vrai, mais ce que tout le monde ignore, c'est qu'il est surtout très difficile d'en sortir - psychiquement... (cf Les Sectes). La réponse de Jésus devient claire, si on la comprend sur le plan intérieur.

"En vérité, je te le dis, si un homme ne naît d'eau et d'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit. Ne t'étonne pas que je t'aie dit : Il faut que vous naissiez de nouveau."

L'eau = l'inconscient, et l'Esprit est immatériel, comme l'âme. Ces paroles nous mettent en garde. Ne confondez pas votre dimension physique avec votre dimension psychique = votre âme avec votre corps. Cette nouvelle naissance, c'est celle de notre véritable identité, et elle ne peut se faire que dans un contexte de connaissance de soi (grâce à l'eau de l'inconscient). Dans l'Evangile, il s'agit de la crèche, dans le Bardo-Thodol, il s'agit d'une matrice-palais-divin, mais la différence est mince, car tout est symbole.

Si ce palais divin est notre propre inconscient, matrice de la vie de notre âme, alors le texte prend une toute autre dimension, car le pouvoir de réalisation est celui de "se réaliser", c-à-d de prendre sa vie en mains, et de devenir le propriétaire de sa propre âme. Et certes, dans ce cas, il faut entrer dans cette matrice qui serait l'inconscient. (cf Psychanalyse de la Bible).

Agis donc de la manière suivante : Dès qu'une porte de matrice pure t'apparaît, n'éprouve aucun attachement, et dès que tu vois une porte impure, n'éprouve aucune aversion. Sans te saisir de ce qui est bon, et sans rejeter ce qui est mauvais, il te faut demeurer dans la grande équanimité dépourvue d'attachement et d'aversion. C'est la profonde instruction clef.

À mon sens, le texte parle ici de l'attirance et de l'aversion, marques visibles de l'attachement à la mère. Qu'elle soit bonne ou mauvaise, il est impératif de se détacher d'elle. Du reste, elle peut être, (et c'est normal), parfois bonne et parfois mauvaise. Et justement, pour entrer dans son propre inconscient, matrice de sa propre identité, il est indispensable de se libérer de sa génitrice.

Personne ne peut se construire sur la dépendance. Mais pour cela, il ne faut pas se fier aux discours de l'ego qui justifie l'inacceptable, et impose l'invérifiable. Il vaut mieux se brancher sur son propre inconscient, et faire confiance aux messages qu'il nous envoie à travers les rêves.

Même pour ceux qui ne peuvent pas se débarrasser de l'attachement et de l'aversion, pour ceux dont les facultés sont les plus basses et même pour les grands pêcheurs qui sont comme des animaux, le sort peut être conjuré par la prise de refuge.

Le texte est au présent, ce qui est parfaitement justifié si le mort en question est toujours vivant. J'aime bien aussi la comparaison sur les grands pêcheurs qui sont comme les animaux (cf les animaux évoqués dans le texte un peu plus haut...). La prise de refuge pourrait être l'entrée dans l'inconscient, où toutes les questions que l'homme se pose peuvent trouver des réponses fiables.

Noble fils, si l'influence de tes actes t'oblige à devoir entrer dans la matrice, je vais te donner une autre instruction pour choisir la porte de la matrice. Ecoute ! Quelle que soit la matrice qui t'apparaît, n'y entre pas.

On est bien avancé... sauf si on comprend cela comme la nécessité de devenir psychiquement adulte, en évitant de se laisser piéger par l'utérus maternel, quelle que soit la mère du sujet...

Il existe deux enseignements. L'un est le transfert de conscience dans les Purs Champs de Bouddha, l'autre est celui qui permet de faire le choix d'une matrice dans le cycle impur de l'existence.

Autrement dit, faire passer les contenus de l'inconscient dans le conscient permet de devenir "Eveillé", comme Bouddha. Et cela n'est pas incompatible avec le fait de fonder une vie de couple harmonieuse (= choisir une bonne matrice), dans le contexte de la vie extérieure (le cycle impur de l'existence). J'ajoute toutefois qu'un couple harmonieux est l'indice extérieur d'une union intérieure (masculin + féminin) réussie. Cela pourrait donc signifier qu'entrer dans son inconscient est une nécessité, pour celui qui veut vivre le mieux possible cette vie terrestre.

Ce que je trouve le plus gênant dans le premier degré, c'est que madame soit finalement réduite à une matrice.... Tant pis. Nous nous consolerons, mesdames, avec cette idée que ces messieurs - en Orient, comme en Occident - se sont mutilés eux-mêmes, en réduisant l'humanité au sexe fort.

Il me semble que, dans notre humanité moderne, où l'égalité des sexes est en train de s'installer, où plus de justice est demandée (droit des femmes, droit des enfants, droit des petits et des obscurs, face aux puissants), une autre lecture de tous ces textes doive être faite, afin de les rendre plus justes, eux aussi. Je ne cherche pas à choquer, ni à déstabiliser ceux qui y croient. De plus, j'ai parfaitement conscience que je peux me tromper. Mais ouvrir une autre porte, chercher une autre piste, apporter une autre explication, cela ne me paraît pas dangereux, au contraire, puisque tant de questions restent posées par rapport au sens profond dont les spécialistes eux-mêmes sentent bien que, parfois, il leur échappe. D'ailleurs, page 136, voici ce qui est écrit.

Ici se termine l'enseignement de la Grande Libération par l'Ecoute, concernant la lumière de lucide clarté dans l'état intermédiaire après la mort, et la reconnaissance de l'état où apparaissent les divinités paisibles dans le bardo de la Vérité en Soi.

Tous les mots utilisés parlent de connaissance de soi (enseignement, reconnaissance, Vérité en soi...), de conscience (lumière, lucidité, clarté, paix), et de se mettre à l'écoute de sa voix intérieure dans le bardo (= le rêve) afin d'être libéré (grâce à la mort de tout ce qui nous enchaîne, et en dernier ressort, à celle de l'ego). Voici une traduction possible de cette phrase écrite (selon moi) dans la langue symbolique :

=Ici se termine l'enseignement de la libération de l'âme humaine, grâce à l'écoute, concernant les prises de conscience, dans l'état du rêve, entre éveil et sommeil. Cette croissance du conscient débouche sur l'état de connaissance de soi. Cet état se construit sur la vérité propre à chaque être humain, et fait apparaître la paix intérieure.

Cette fin de chapitre se termine par un mantra (que je ne peux reproduire ici qu'approximativement):

iti o/o Samaya o/o ya gya gya o/o

Le sens n'est pas donné, mais seulement l'information suivante: "Mantras qui scellent le secret du texte." Autrement dit, le texte est crypté. Son sens apparent n'est pas son sens réel... Or, si on lit toutes les explications données par les lamas autorisés, on peut se rendre compte que le texte est pris au premier degré. En revanche, ma traduction est un vrai décryptage...

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L'ego ne traduit jamais les textes sacrés. Il les prend tels quels, ce qui est le meilleur moyen d'assurer son pouvoir sur l'homme. En effet, seule la compréhension juste des problèmes permet de les résoudre. Tant qu'on parle de vies passées et de vies futures, la vie présente reste sous la coupe du tyran-ego. Et, d'une certaine façon, c'est lui seul qui se réincarne, puisque c'est lui seul qui garde le pouvoir, à chaque génération, avec toutes les souffrances que cela génère, sur le plan individuel et sur le plan collectif...

Dans ces conditions, comment donner sa place à la partie psychique qui anime le corps?

En comprenant enfin que les Ecritures nous mettent seulement en garde contre le pouvoir des parents et contre celui de l'ego. Bien entendu, pour résoudre ces deux obstacles, il faut entrer dans le Bardo, c-à-d se brancher sur son inconscient et en comprendre la langue.

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Conclusion.

Cette analyse m'est personnelle. Elle diffère des approches classiques sur la réincarnation en ce sens qu'elle cherche à établir un lien cohérent entre une croyance très répandue et la vie de chaque être humain. On quitte alors l'invérifiable - domaine royal du pouvoir de l'ego - pour se brancher sur son vécu, son expérience, sa relation avec ses proches et avec soi-même. Si des connexions sont vraiment faites, on a gagné en conscience, perdu en inconscience, et le pouvoir de l'ego en a pris un coup. Quand on se comprend mieux, on comprend mieux les autres. Les Bouddhistes ne sont pas mieux placés que les autres dans la course à la spiritualité. Comment pourraient-ils accéder au Nirvana sans avoir réglé leurs problèmes à papa-maman, sans avoir pris conscience que leur ego est tout-puissant à l'intérieur d'eux-mêmes?

Tous les discours trop intellectualisés risquent de passer à côté de la vérité. En ce qui concerne le bouddhisme, l'aspect intellectuel, abstrait, obscur, compliqué, est évident. Les extraits cités plus haut le montrent bien, et mes traductions se veulent au contraire simples, ancrées dans la chair et la vie quotidienne, afin de rendre aux textes la valeur d'un vécu pouvant toucher tout le monde.

On ne peut accomplir un vrai parcours spirituel, si on ignore que l'ego, cet ennemi intérieur, peut prendre la place d'un être humain, dès la petite enfance (cf Psychiatrie), et parfois même dès la naissance. Dans toutes les religions, on occulte les problèmes terrestres relationnels, en promettant à l'individu une récompense spirituelle (cf Sectes) qui se révèle être un leurre, à plus ou moins court terme. On ne bâtit rien sur des théories intellectuelles, si séduisantes soient-elles. La construction de l'âme exige la prise en compte de sa vérité propre, c-à-d de ce qui se passe réellement à l'intérieur du monde psychique. Mais on ne peut pas le savoir, si on n'entre pas soi-même dans son propre inconscient, afin d'y installer la lumière du conscient.

Le Bouddhisme a trouvé en Matthieu Ricard un défenseur occidental très efficace. Son livre, "Plaidoyer pour le bonheur" est extrêmement intéressant, mais il oublie un paramètre essentiel, qui touche pourtant beaucoup de gens. Aimer autrui est une ligne de conduite exploitée savamment par l'ego, qui en fait une de ses têtes de pont. En effet, à force de se donner aux autres, on risque de s'oublier soi-même, lorsqu'on est inséré dans la société. Evidemment, celui qui est engagé dans un couvent ou un ashram peut y trouver son compte et cela semble être le cas de l'auteur. Mais a-t-il pensé à tous ces gens qui font la même chose dans le cadre de leur vie quotidienne?

Je pense à une femme qui se dévoue du matin au soir pour sa famille et ses amis, et qui a l'impression d'y perdre son âme, de ne plus exister, d'être proprement épuisée, de n'avoir plus rien à donner, et d'être pourtant obligée de continuer dans ce système, parce que les autres, habitués à ce fonctionnement-là, ne pourraient comprendre qu'elle cesse de l'utiliser. C'est son ego qui la coince là, sous couvert de générosité, en lui interdisant de faire pour elle-même ce qu'elle accorde aux autres. Car l'ego est très malin, et il est capable de pervertir même la bonté et l'ouverture. Beaucoup de gens se savent pas dire non, ou n'osent pas, et quand le pli est pris, il est trop tard.

L'homme a toujours cru que la Connaissance de Dieu passait par des textes sacrés, qu'il a lus au premier degré, et qui n'ont alimenté que son ego. L'homme n'accèdera à une spiritualité authentique qu'en passant par la connaissance de lui-même, c'est cela, le chemin vers Dieu - s'il existe... Et c'est en faisant ce chemin qu'on finit par savoir, justement, qu'Il existe. Mais il ne s'agit plus alors d'une croyance, il s'agit d'une certitude intérieure qui exclut tout prosélytisme. Et cette certitude doit être accompagnée de bien-être, sans quoi, elle ne vaut rien.

J'ajoute que la seule existence sûre, pour chaque être humain, c'est la sienne. Si on laisse l'ego la diriger, on vit l'enfer sur terre. Si on réussit à donner le pouvoir à son âme, on découvre le paradis sur terre. Cela pourrait bien signifier que la divinité se trouve à l'intérieur de chacun d'entre nous : c'est notre âme. La preuve de l'existence de Dieu sera donnée le jour où chaque personne se reconnaîtra dans sa véritable identité. Pour cela, il faut que l'humanité devienne adulte, et frappe son ego d'ostracisme.

Car l'infantilisme et la tyrannie de l'ego sont nos deux obstacles majeurs. Tous les textes sacrés peuvent être lus dans ce sens et tous les rêves abordent ces deux problèmes. À mon avis, aucune amélioration ne sera vraiment possible tant qu'on ne le saura pas, d'abord sur le plan personnel et ensuite seulement sur le plan collectif. Quand un nombre suffisant d'individus sera libéré, la collectivité suivra. C'est le chemin inverse de ce qui a toujours été proposé. L'enseignement donné aux masses affirme pouvoir apporter le salut. C'est manifestement faux. La connaissance de soi au niveau particulier doit être le terreau de la réalisation globale de notre humanité.

 

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