Comment devient-on Gourou ?

La prolifération des sectes est assortie d'abus de toute sorte. Le grand argument de leurs fondateurs, c'est que les disciples sont d'accord avec ce qu'ils subissent. Le jour où ils se réveillent, et comprennent véritablement ce qu'on leur a fait, les choses sont portées devant un tribunal, et les deux parties s'affrontent sans que jamais le maître spirituel ne reconnaisse les faits. C'est, me semble-t-il, le fond du problème. On les accuse d'imposture, de charlatanisme, d'abus de pouvoir. Ils nient tout cela en bloc. Comment est-ce possible? Pourquoi ne reconnaissent-ils rien? Pourquoi n'ont-ils pas l'ouverture d'esprit (ou la sagesse) de prendre en compte le discours de leurs anciens disciples? Aujourd'hui, presque tout le monde sait que la remise en cause de soi est un moteur essentiel pour sa propre évolution. Pourquoi les gourous semblent-ils ne pas le savoir?

La première réponse, c'est qu'ils sont sincères, tout aussi sincères que leurs disciples, qui croient en eux. Autrement dit, ils sont - les premiers - abusés par leur propre ego, qui abuse ensuite leurs disciples.

La deuxième réponse, c'est qu'ils sont complètement identifiés à cet ego. Sans quoi cela ne marcherait pas. C'est leur ego qui parle à leur place, et on ne discute pas avec l'ego.

C'est encore dans les Ecritures qu'on trouve la confirmation de cette approche (Luc, 17. 21).

"Le royaume des cieux est au milieu de vous." Chouraki traduit "Le royaume des Cieux est en vous".

Il y a en effet deux significations possibles.

- Celle de l'église, traditionnelle, identifie le Christ à un être humain extérieur, autour duquel gravitaient les disciples (douze autres êtres humains). Cette approche ouvre la voie à tous les soi-disant maîtres spirituels, qui se croient missionnés de Dieu et cherchent des disciples, en ré-éditant l'histoire d'un Jésus-gourou. L'Eglise se gendarme contre eux, mais elle a été la première à en profiter.

- Celle du "mysticisme" moins répandue, mais également connue, qui comprend la venue du Christ comme une aventure intérieure, comme une naissance personnelle, entérinée par la parole de Paul "Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi." Toutefois, même les mystiques ont pu se laisser abuser par leur ego.

Car tout le problème est de savoir qui est vraiment cette instance, dont les gourous disent être l'incarnation, ou le récepteur. Je tiens à préciser que les gourous en question ne sont pas forcément orientalistes, ou teintés d'un bouddhisme douteux. Ils sont aussi des religieux fanatiques de tout ce qui est écrit dans la Bible. Les fondamentalistes qui lisent les évangiles au premier degré, certains pasteurs, dits "charismatiques", animés d'une ardeur sincère, brandissent le Christ comme un drapeau, et magnifient un obscurantisme auquel ils croient. C'est en fait leur sincérité qui les rend dangereux. ils sont convaincus que leur compréhension des textes religieux est parfaitement juste. Et ils pensent que c'est Dieu qui leur parle, dans leur intimité.

Je fais l'hypothèse qu'ils sont victimes de leur propre ego, et qu'en réalité, c'est lui qui leur parle. Mais ils ne le savent pas.

Un discours religieux fondamentaliste.

On peut lire l'ouvrage récent d'un pasteur américain, dont la sincérité n'est pas à remettre en cause. Il dit qu'il dialogue avec Dieu lui-même (Benny Hinn, Le sang de l'Alliance).

"Seigneur, que puis-je faire pour te plaire ?" Et il me répondit ceci : "Le plus grand de mes plaisirs, c'est que tu me laisses faire ton ouvrage !"

Une fois de plus, c'est l'explication de texte, fondée sur le sens des mots, qui peut donner à réfléchir. En effet, c'est le mot plaisir qui a été prononcé, mot qui relève du plan terrestre.

Quand on voit la lecture fondamentaliste faite par l'auteur des passages bibliques cités, on peut s'inquiéter à juste titre. Certes, je souhaite me tromper, mais cette phrase me semble être dite par l'ego, qui prend en effet un grand plaisir à pouvoir agir sans entrave à l'intérieur d'un homme d'église. L'ouvrage en question pourrait bien être, en effet, ses écrits sur son interprétation de la Bible. L'ego a généralement des paroles de séduction au départ, puis, quand son emprise est bien établie, il devient de plus en plus exigeant, et pousse le sujet dans des extrêmités inacceptables (cilice, sévices physiques, abus de pouvoir sur autrui, puritanisme, interdits multiples et malsains), ou même, il montre son vrai visage, et devient Satan lui-même, ce qui a été le cas de Martin.

En ce qui concerne cet auteur américain, son discours a pour fondement la souffrance de Jésus (son sang), et magnifie à outrance cet événement ignoble, donné comme la grâce et la guérison de tous nos péchés. Beaucoup de gens intelligents s'interrogent sur un Dieu qui aurait donné son Fils en pâture à la barbarie humaine, tout en affirmant son amour pour l'homme. Cette ignominie inacceptable ne peut être imputée à Dieu, s'il existe. En revanche, on peut l'imputer à l'ego, qui ne cherche que la souffrance de l'homme, afin d'asseoir dessus son propre pouvoir. Et l'homme accepte naïvement son discours, parce qu'il croit sincèrement que la souffrance est rédemptrice, à cause de la lecture de l'Eglise, et de l'histoire des "Saints" universellement tragique. Mais Jésus n'a pas voulu souffrir: "Père, éloigne de moi cette coupe." (Luc, 22. 42). Pourquoi son Père n'a-t-il pas répondu à cet appel?

S'il a été crucifié, l'homme-Jésus, dans cette histoire, s'est fait berner par son propre ego (= Judas).

Personnellement, je plaide pour une crucifixion psychique, selon l'expression: "Cela m'a crucifié". Son ennemi intérieur l'a entraîné jusqu'au Golgotha, grâce à un discours intellectuel, qui n'avait rien à voir avec la volonté d'un Dieu d'amour. Mais naturellement, dans cette optique, son aventure fut intérieure, du début jusqu'à la fin, et s'il a réussi à se libérer, chacun d'entre nous peut le faire aussi. Pour cela, il faut faire la différence entre le discours de notre ego et celui de notre coeur. Si Dieu existe, c'est là qu'il loge, car le coeur est le siège de l'âme. Le mental, au contraire, est le Golgotha (=lieu du Crâne), outil de l'ego, dont certaines lettres sont visibles dans le mot lui-même...

Chacun d'entre nous est susceptible de faire la confusion entre les deux instances qui cohabitent à l'intérieur de nous, notre âme (=notre véritable identité) et notre ego (=notre faux-self).

La Bible est en fait un grand livre de psychologie, et nous les présente constamment, mais de façon cryptée, symbolique, exactement comme nos rêves. Dans cette approche, l'ego (=Caïn et Esaü) est le véritable prédateur de l'âme (=Abel et Jacob), ainsi que tous les frères aînés = les premiers-nés= l'ego, dont la présence précède la naissance du conscient, véritable identité de l'homme.

Mais l'âme et l'ego sont aussi symbolisés par Moïse et Pharaon, Jésus et Hérode, ou Jésus et Judas, ou Jésus et les Pharisiens. Les docteurs de la loi sont en effet une représentation parfaite de l'ego, qui s'appuie sur les Ecritures en les gardant au premier degré, tout comme les prêtres, les pasteurs, les rabbins, les lamas et les gourous. Or, cela provoque en l'homme des blessures profondes et quelquefois sa destruction. Cela a fait souffrir l'homme Jésus, tant qu'il a cru que le sacrifice qu'il devait faire était celui de son âme, alors que c'était celui de son ego. C'est cela qui l'a crucifié... L'Eglise en a conclu que la souffrance était une rédemption, alors qu'elle est seulement la preuve de la malfaisance de l'ego dans le monde intérieur de l'homme, y compris dans celui de cet homme qui s'appelait Jésus.

Un pasteur qui demande à Jésus de le protéger en le couvrant de son sang, peut s'attendre à voir cette prière exaucée par son ego, qui jubile probablement à l'intérieur de lui... S'il s'agit vraiment là d'une dramatique erreur d'interprétation, c'est en même temps une explication très simple à toutes les souffrances qui s'étalent à la surface de la terre. Est-ce Dieu qui les a voulues? Non. C'est seulement la réponse de l'ego à une attente spirituelle vraie, mais dévoyée par cet ennemi intérieur. Le Troisième Commandement nous met en garde contre lui (Exode, 20. 7)."Tu ne prendras point le nom de l'Eternel, ton Dieu, en vain."

Cet ordre s'adresse à l'ego, et lui interdit de parler au nom de Dieu. Il ne s'en prive pourtant pas, et l'homme ne pourra l'en empêcher que s'il prend conscience de cet état de fait. Je rappelle que l'Eglise en a seulement conclu qu'il était interdit de jurer par le nom de Dieu... (Cliquer dans le Menu sur Les Dix Commandements).

Un livre révélateur : Kryon.

On peut identifier l'ego grâce à la symbolique - si on la connaît. J'ai eu entre les mains un ouvrage incroyable, dicté à un américain naïf par une "entité" se présentant comme "Kryon", et annonçant la venue de son règne sur la terre "pour ajuster le réseau des méridiens", entre autres sottises. Tout ce qu'il dit est invérifiable et teinté d'un modernisme douteux. "Salutations ! Je suis Kryon, du Service magnétique"... Heureusement, il donne aussi la preuve de son identité véritable.

"La somme des chiffres de mon nom donne 11. Ce nombre est significatif et décrit encore mieux qui je suis pour ceux qui possèdent un sens intuitif de la numérologie. (...) Le nombre 11 vous révèlera mon caractère."

Effectivement, car le UN symbolise l'ego, qui veut toujours être le numéro 1, et le ONZE parle des résistances de cet ego, capable d'installer son pouvoir à l'intérieur de n'importe qui (Lee Caroll se présente comme un homme d'affaires). Dans les rêves, le chiffre 11 met toujours l'ego en scène.

Autre preuve: "L'amour, c'est le pouvoir" affirme Kryon. Faux : l'amour, c'est le respect et la tolérance. Du reste, tout ce livre ne parle que des pouvoirs que ceux qui croient en lui obtiendront, et des souffrances qu'ils devront endurer pour les obtenir. Le culte de la souffrance est encore le signe de l'ego.

Il faut demander de recevoir "l'implant"... La naïveté de ceux qui croient en ce ramassis de sottises n'a d'égale que la perversité de cet ego, capable de tromper l'homme en lui faisant croire qu'il peut être heureux en faisant l'impasse de la découverte de lui-même, c-à-d de la connaissance de soi. La voix a le toupet de dire: "L'ego sera votre pire ennemi." (p.56). Cela suggère une confusion avec l'âme, présentée comme l'ego-ennemi, si elle rejette ce discours. Par ailleurs, l'ego est présenté comme "un attribut important de votre personnalité" (p.164), plus du tout négatif, ce coup-ci, ce qui est en concondance avec une phrase à double-sens.

"Je ne m'appelle pas réellement Kryon et je ne suis pas un humain." (p.14). On peut comprendre "En fait, je suis le Christ, et je suis un esprit", alors que cela signifie "Je vous ai caché ma véritable identité et je ne suis pas un humain, je suis un animal."

J'ajoute que Kryon peut se lire en anglais "Cry on" = Crier / pleurer / sans s'arrêter. Là aussi, on a un double sens, où on entend clairement la souffrance de l'homme.

Ce second sens est confirmé par un autre indice qui permet d'identifier l'ego de façon sûre. "Il est nécessaire qu'une partie importante de la population meure, pour assurer l'équilibre de la planète Terre." Comment les lecteurs peuvent-ils accepter pareille horreur ? Parce qu'ils croient qu'ils ne feront pas partie de la population condamnée ? Quel égoïsme ! Et si un de leurs proches en fait partie ? Cela ne leur met pas la puce à l'oreille ?

Cela rappelle le verset vu plus haut, Il est avantageux qu'un seul homme meure pour le peuple. Quand un leader politique ou religieux fonde la promesse du bonheur de l'humanité sur sa destruction partielle, on peut être certain que c'est l'ego qui parle. Car avec de la souffrance, on ne peut fabriquer que de la souffrance. Accepteriez-vous que votre bonheur se fasse au prix de la mort de votre frère ou de votre enfant? Est-ce acceptable? Si Dieu existe, il est amour, et il ne peut imposer cela à l'homme. Mais encore une fois, un autre sens est possible, si on intériorise cette phrase.

Il est nécessaire que l'ego (cette partie importante de la population interne) meure, pour assurer l'équilibre de l'être humain.

Seule, la traduction rend cette phrase complètement vraie, car alors, la parole se retourne contre l'ego lui-même, et libère l'âme. J'ajoute que l'être humain en question est d'abord l'auteur du livre. Je serais curieuse de savoir comment il évolue. Quand il diffuse le discours de son ego, tous ceux qui y croient deviennent - comme lui - des proies potentielles.

En ce qui concerne l'implant, ceux qui lisent ce livre peuvent se référer à Marc (15. 12).

"Toute plante qui n'a pas été plantée par mon Père sera déracinée."

J'espère sincèrement que cet implant-là n'ira pas bien loin.

Cet exemple illustre parfaitement comment naissent les sectes.

Le sujet est totalement sincère. Il ignore que c'est son ego qui lui distille des sornettes, et il les répand autour de lui. Toutefois, si l'humanité connaissait la vraie valeur des symboles, y compris la symbolique des chiffres, le Onze aurait alerté l'auteur, et il n'aurait pas donné suite.

Dès qu'il s'agit de spiritualité, il faut systématiquement penser que l'ego peut être à la source du discours. Une analyse rigoureuse est nécessaire pour séparer le bon grain de l'ivraie, mais ce n'est finalement pas très compliqué, un peu de sens critique suffit souvent !