Rêve n°47

Histoire de Carine : Entretien 1

Carine, 25 ans, est la proie d'une profonde dépression. Elle sait pourquoi.

- Je suis allée en boîte de nuit avec deux amies et je n'en ai gardé aucun souvenir. Cependant, le lendemain matin, au réveil, je me suis retrouvée nue auprès d'un type totalement inconnu. Je n'ai rien osé dire, mais j'étais pas bien du tout. J'ai commencé à faire des crises d'angoisse dans le métro, dans la foule. J'ai fini par en parler à une amie. Elle m'a prise en mains, m'a fait faire un test de grossesse - négatif, et m'a poussée à porter plainte. On m'a fait un test portant sur les cheveux : J'ai été victime de la drogue du violeur... J'ai plongé dans une lourde déprime. Je me suis retrouvée en enfer, je ne voulais pas le dire à mes parents, je me suis complètement repliée sur moi-même : métro-boulot-dodo, je me terrais dans mon petit appartement, quand je sortais, j'avais l'impression que les rues se refermaient sur moi, je pleurais, j'étais perdue, en prison dans une grande ville, seule. Finalement, pour en parler à mes parents, comme je ne le pouvais pas, je leur ai fait lire ma déposition à la police. Un soir, j'ai appelé ma mère : "Je vais faire une bêtise." J'ai essayé de me reprendre, mais je vomissais tous les matins, j'avais des diarrhées continuelles. Le jour où j'ai vomi du sang, je me suis retrouvée aux urgences. On m'a diagnostiqué un ulcère à l'estomac, accompagné d'un gros stress, avec nécessité d'une thérapie. Je suis revenue dans la région, chez mes parents, en arrêt maladie. Je pense que je vais donner ma démission, et me soigner pour redevenir la Carine d'avant. C'est pourquoi je suis là.

Je lui demande si elle se souvient de ses rêves. Elle en a deux.

- Je me lève, m'approche de la fenêtre et saute, pour me suicider... Réveil en sueur... Sinon, c'est la scène du viol : Un type au-dessus de moi, je suis allongée, paralysée, et il me pénètre, je ne peux rien faire... De toute façon, j'ai peur de m'endormir le soir, pour éviter de cauchemarder.

Je lui demande si elle a gardé le désir de mourir. Elle nuance sa réponse :

- J'ai envie de faire mourir cette fille qui reste en moi et qui a peur de tout !

Son premier rêve est ainsi peut-être expliqué. Elle est venue me voir pour cela, et je vais essayer de l'y aider. Quant au second, il ne peut s'agir de son violeur, car le rêve serait pris au premier degré. Celui qui la paralyse - grâce au viol - serait plutôt son ego qui bloque ainsi toute libération. Il est l'autre, à l'intérieur d'elle, qui se nourrit de sa souffrance, et l'entretient en perpétuant l'abus de pouvoir, à l'image de ce qu'elle a subi. Je lui explique ce qu'est l'ego.

- J'ai l'impression d'avoir un serpent dans le ventre, ajoute-t-elle. Quand je ferme les yeux, je peux même le toucher, tous les matins, je le vois, ça m'empêche de respirer. J'ai tout le temps mal au plexus et à l'estomac. Je fais des malaises - à m'évanouir - n'importe où, l'autre jour, c'était dans une queue, dans un centre commercial...

Nous allons tenter la visualisation. J'ai deux solutions : soit la scène du viol (mais j'ai peur que ce soit trop violent), soit la douleur dans le ventre. Je lui propose une relaxation rapide, puis de visualiser l'intérieur de l'estomac.

- Je vois une grosse boule rouge, dit-elle, pleine de sang. Elle est éclairée comme un soleil.

L'ego est (comme le chante Charlélie Couture) "quelqu'un d'autre à l'intérieur d'elle", quelqu'un de malfaisant dont le but ultime est de la tuer, quand il le sent possible. C'est alors que le suicide peut intervenir. Ainsi, cette boule douloureuse pourrait bien être son ego, qui s'est empressé d'utiliser cet événement tragique pour elle, comme un outil de pouvoir pour lui, qui lui permet de régner sans partage dans son âme. Dans son cas, il installe une douleur physique, et il la persuade de souhaiter la mort comme seule issue possible à son désespoir : C'est lui qui saute par la fenêtre. Si elle s'identifie à lui, elle risque de finir par le faire ! Il faut qu'elle le combatte. Enlever cette boule serait une première bataille gagnée.

- Tout est bloqué. C'est comme une poche, la boule flotte dedans. Elle ressemble à un cerveau, il y a des veines, des traits bleus dessus. En bas, l'ouverture est comme un tuyau, beaucoup trop étroit pour qu'elle puisse sortir. Et par en haut, non... il me faudrait la vomir, je ne peux pas ! Je ne vois qu'un seul moyen : l'opération ! Ouvrir le ventre et la sortir.

En virtuel, tout est possible, et c'est le sujet qui voit et qui sait ce qui conviendra le mieux.

- Je le fais. Mais je suis à vif ! Elle a de la force. Elle essaie de rentrer dans ma bouche pour retourner là où elle était !

C'est une sorte de preuve qu'il s'agit bien de son ego. Il se révèle par ce désir étroit, animal, obstiné, de faire souffrir sa coéquipière. Il faut le détruire, car sinon, c'est lui qui la détruira.

- Oui, d'accord, mais il a beaucoup de force ! il veut revenir ! Il faudrait une cage, bien fermée, cadenassée, avec des petits trous pour lui faire du mal : j'essaie de le percer avec une aiguille, mais il bouge partout et je ne peux l'atteindre.

Je m'informe : "Est-ce toujours une boule ?"

- Oui. Je vais utiliser du poison. Je lui verse dessus de la mort aux rats. La boule se désagrège, elle fond - pschitt - il reste une pâte flasque, morte. Je jette le caisson dans un précipice. Elle tombe au fin fond d'un canyon dans lequel coule une rivière.

Je lui dis alors qu'il faut maintenant qu'elle regarde son estomac et qu'elle soigne ce qui doit être une blessure, ou bien la marque que l'ego a laissée en elle.

- Je suis à vif. Je sens une odeur de poisson... Je vois le trou où elle était. En haut, c'est ouvert. En bas, j'ai plus de mal. Le tuyau est fermé, et ce n'est pas normal.

J'essaie une explication, car l'image ne peut bouger et évoluer que si on comprend ce qui se passe : "Votre ego s'était mis là, parce que cette histoire vous était restée sur l'estomac. L'expression explique son choix. Maintenant, la partie de vous qui a été violentée se trouve plus bas. Regardez si vous voyez dans votre ventre le serpent dont vous m'avez parlé. (Elle le voit immédiatement). C'est un symbole de l'ego et il se pourrait qu'il soit aussi dans l'intestin, afin de vous empêcher d' "évacuer" votre souffrance."

- Il n'est pas très long, mais il est très épais, tout noir. Je le vois bouger. Il est trop gros pour moi, comparé à mon corps, il est énorme à l'intérieur...

Je pense à un phallus et je lui propose cette équivalence. Mon rôle est de comprendre les images envoyées par l'inconscient, c'est pourquoi je soumets au sujet chaque idée qui me vient : l'inconscient l'acceptera ou la rejettera, mais au moins, j'aurai fait une proposition.

- Non, c'est bien plus haut. C'est un bras d'homme, qui me tient par les tripes. J'ai mal au ventre. L'opération n'est pas possible... J'ai des douleurs, c'est incroyable.

Je lui assure que la compréhension de ce qui se passe lui donne le pouvoir. C'est bien son ego qui la tenaille, mais il ne peut résister à la prise de conscience de sa malveillance vis-à-vis d'elle. Elle peut le réduire ! (à condition que je ne me sois pas trompée dans mes traductions).

- Avec une baguette magique ? (elle rit) C'est marrant, il se réduit. La tête du serpent est noire, comme du caoutchouc. La main est claire, elle tient un morceau de moi. Ah ! Elle a lâché un bout de mes organes. C'est fait ! Je la sors. Maintenant, il faudrait la brûler.

Je l'y encourage. Elle le fait, et voit les cendres s'envoler.

- Je regarde mon ventre, c'est un désastre. Il y a un grand trou vide, comme après un tsunami. Il faudrait que mes organes reprennent leur place. Oui... J'y arrive. Il n'y a plus le bras. Il faut nettoyer à l'eau.

Elle se touche la paroi abdominale, la trouve moins dure. "C'est dingue, y a plein de bébés serpents, ils remontent dans l'eau, il faudrait un filet, une épuisette, tellement il y en a ! ... [long silence] ... Je les ai tous tués : Je n'ai plus mal au ventre. Je le sens très détendu, mais je suis vidée. Je viens de fournir un énorme effort..."

Nous arrêtons là cette séance. Elle se sent mieux.

- J'ai l'impression d'avoir pris une douche ! Et ça fait du bien...

Nous prenons rendez-vous pour la semaine suivante.

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