Rêve numéro 44

Nancy. Entretien 3

Nancy arrive avec un cauchemar.

- La scène se passe dans une maison. Il y a un homme, un adulte, avec un révolver. Je vois aussi un adolescent et deux jeunes filles. Tout le monde a peur. L'homme oblige l'adolescent à s'habiller comme sa femme (qui est absente). Puis il lui tire dessus, trois balles dans la tête. Les deux petites ont très peur. L'aînée sauve la plus petite en la cachant au fond de son lit, et c'est elle qui se fait tuer. Je me réveille, debout dans mon lit !

Nancy m'a déjà parlé de son père, dont les colères terrorisaient toute la famille. Je lui demande si elle a pensé à une explication.

- Eh bien, souvent, je regarde des séries policières, mais hier soir, ça n'a pas été le cas. Je me suis demandé si j'avais voulu tuer mon ego ?

Je suis formelle : c'est non. Il y avait beaucoup trop d'angoisse dans le rêve. Quand on a tué son ego, on se réveille avec un sentiment de victoire. Non. Cela semble faire écho à son enfance, et à l'ambiance familiale.

- Ma première idée, avoue-t-elle, c'est mon père, mais quand je m'interposais entre ma mère et lui, il ne me tapait pas, il arrêtait tout, alors que là, il tue l'adolescent.

- Je vais vous donner la valeur symbolique des mots. Le vêtement est une façade, une attitude souvent fausse. Ici, l'homme oblige un garçon à s'habiller comme sa femme, qui est absente. Cela pourrait signifier que votre mère (sa femme) ne jouait pas son rôle, elle était "absente", parce qu'elle agissait comme une ado en face de votre père, qui lui imposait du coup l'attitude qu'il voulait qu'elle ait. Mais, en même temps, il l'empêchait de penser par elle-même - en lui fusillant le cerveau : les trois balles dans la tête.

- Oui, s'écrie-t-elle, c'est exactement ça ! Ma mère n'avait aucun droit de décision, elle ne pouvait émettre une idée, on la pensait incapable de tout, on la rabaissait - pas seulement mon père ! Tout le monde lui donnait des conseils, tu devrais faire ci ou ça, fais comme ci, fais comme ça.

Elle rit : "Un jour, elle a tapé du poing sur la table, mais c'était après son divorce ! Mon père l'a complètement brimée..."

Elle reprend son rêve et en comprend la suite :

- Je crois que la plus petite, c'était ma petite soeur. Je suis entrée dans un système de protection, je ne voulais pas la laisser seule avec mon père. Et un peu pareil avec ma mère : Elle était fragile, je me sentais plus forte qu'elle, du haut de mes 10 ans. Il y avait des moments où le couple allait bien, mais sitôt que mon père était contrarié, ou avait un peu bu, ça commençait et ça dégénérait rapidement. Un jour, il s'est cassé la main en frappant violemment le mur...

Elle me raconte une série de souvenirs pour illustrer ses paroles. Manifestement, sa relation avec son père est restée difficile, même encore aujourd'hui. Elle admet qu'un travail sur lui est nécessaire, parallèlement à celui sur sa mère.

- La petite fille en vous doit se libérer de ses deux parents pour grandir complètement. Ce cauchemar vous montre l'impact de votre père sur vous. Vous avez eu longtemps peur de lui et il en reste des traces en vous encore aujourd'hui.

- Il est vrai que la relation avec lui est plutôt mauvaise, car je lui en veux encore de ce qu'il nous a fait.

Je lui propose de visualiser son père. En fermant les yeux, elle le voit tout de suite. "Il porte la barbe, moi, en face de lui, je suis ado, j'ai 13-14 ans. Je suis dans sa maison, où je ne suis pas bien, pas heureuse d'être là."

Je lui conseille de vider son sac, comme elle l'a déjà fait en rêve pour sa mère, mais d'intervenir en tant qu'adulte, pour protéger cette petite jeune fille qui ne faisait pas le poids devant son père. Elle saisit cette opportunité avec joie : "L'adulte vient dire à l'ado de s'exprimer, elle a l'âge propice... Elle l'accuse. Tu as fait du mal autour de toi, tu as détruit ma mère, et moi aussi. J'ai plus envie de te voir, tu n'as qu'à me mettre dehors, puisque c'est ta spécialité ! Plus elle parle, plus elle se sent légère et sans responsabilité, elle a presque peur d'être violente, elle veut le massacrer, le faire souffrir à son tour... Je peux ?"

Cette question s'adresse à moi. Je l'y encourage. Ce travail n'est que virtuel, on y a tous les droits et il faut absolument rendre justice à la petite Nancy. C'est une question d'équité. Or, on ne soigne les blessures de l'âme qu'avec des médicaments invisibles comme elle. Son père ne saura jamais ce qu'elle est en train de faire, et leur relation pourra enfin changer, devenir saine, parce qu'elle lui aura réglé son compte en détruisant non pas lui - mais le pouvoir qu'il a eu et a encore sur elle !

- Vas-y, fonce ! Rabaisse-le comme il a su nous rabaisser ! Elle y va, elle le frappe, le détruit, lui marche dessus, c'est une crêpe ! Ya bien longtemps qu'elle aurait dû le faire... J'ai fait du basket pour me défouler, parce que je sentais cette violence, j'avais peur d'être comme lui. Il ne se défend pas, elle l'a écrasé, elle en est très heureuse, et en même temps, elle pleure...

- Expliquez-lui le sens de ce travail, dites-lui qu'elle avait le droit et qu'elle vient seulement de corriger ce que cette relation avait d'injuste.

- Oui, tu avais le droit. On continue, on avance, chacun sa merde, qu'il se débrouille avec la sienne. Elle est apaisée, enfin libre, elle va pouvoir grandir, elle se sent bien, je la vois maintenant à 17-18 ans, puis 20, elle fait la fête avec ses copains et copines...

Nancy ouvre les yeux. "À cet âge-là, dit-elle, elle n'avait pas encore mal aux genoux, elle n'avait mal nulle part, du reste ! Depuis, ça ne s'est pas arrangé : hernie discale, arthrose, fragilité héréditaire du genou, douleurs intercervicales monstrueuses. Je sais que, dans quelques années, ce sera le billard..."

Les douleurs physiques sont souvent la conséquence de blessures psychiques. Nous verrons cela la prochaine fois.

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