Rêve numéro 40

Le rêve.

Je fais la queue dans un campement. Je suis debout près d'un poteau, quand je vois de loin une femme juste en face de moi, qui me vise avec son arme. Je m'écarte un peu. Des gens, jeunes, ont vu la scène et vont vers la tueuse. Elle est issue d'un camp ennemi, très important, très puissant. Moi, je vais voir ma chef. Elle est allongée sur un lit de camp, elle a un gros ventre comme quelqu'un qui se laisse aller. Je lui dis qu'ils vont me tuer. Elle ne s'affole pas : "Reste par là," me dit-elle. Dehors, il y a un entrainement général. Tout le monde se met en place et une nouvelle chef, très jeune, teste la stratégie de défense. Il y a beaucoup de monde. Moi, je suis inquiète car, à force de tout répéter à l'extérieur, les ennemis vont tout connaître de notre stratégie.

La situation.

Babette vient me voir depuis quelque temps. En amont de ce rêve, il y a eu un gros travail d'investigation et de prises de conscience sur sa situation, son enfance, sa relation à sa mère, à son mari, à son ego. Elle se sent beaucoup mieux, plus sûre d'elle, plus confiante, plus forte. Beaucoup de peurs l'ont quittée, elle a beaucoup "grandi". Pourtant, il lui reste parfois une angoisse viscérale, quelque chose qui l'aspire et la fait tomber dans un trou noir, dans une angoisse mortelle, comme si elle allait mourir, même si c'est moins violent qu'avant, moins fréquent aussi.

L'interprétation.

Au cours de l'entretien précédent, elle a reparlé d'une certitude étrange mais persistante : sa mère aurait cherché à avorter d'elle quand elle s'était sue enceinte. Babette le pense depuis toujours, ou en tout cas depuis très longtemps. Je l'ai suivie dans cette hypothèse et nous avons essayé de demander de l'aide à son inconscient. Il avait envoyé l'image d'un bébé qui la regardait avec intensité. Elle lui avait tout expliqué et il avait semblé rassuré. Elle s'en était trouvée apaisée et était partie en se sentant très bien.

Comme rien de grave ne s'est passé entre nos deux rendez-vous (maintenant mensuels), je lui propose une explication basée sur ce ressenti difficile d'un avortement qui aurait échoué. Tout, alors, semble prendre du sens :

Le campement marque une situation provisoire, et la queue pourrait bien parler du père... La femme tueuse serait une partie de sa mère, celle qui a essayé de se débarrasser d'elle. Mais elle s'est "écartée" et l'outil (aiguille à tricoter ? tringle à rideau ?) ne l'a pas atteinte. La rêveuse est née à la fin des années 40, quand les IVG n'existaient pas. La tueuse est une ennemie puissante, importante... Babette va voir sa chef (=autre aspect de sa mère) et lui parle de cette hypothèse. Sa mère (gros ventre = grossesse), mais aussi un laisser-aller qui la caractérisait, dit Babette, n'a jamais réagi très clairement à ses questions. Cependant, au moment où cela s'est passé, la rêveuse a mobilisé toutes ses forces vives pour résister à la volonté maternelle, tout en craignant que sa génétrice ne déjoue son désir de vie...

Et elle a réussi. Elle est là aujourd'hui pour en prendre conscience.

Je lui demande ce qu'elle en pense. Elle ne peut évidemment rien prouver (et moi non plus !) mais elle se sent tout à fait d'accord avec ça. Cela lui paraît très plausible. Elle fait même de nombreux liens avec des épisodes de sa vie où elle se sentait en danger auprès de sa mère, de certaines réactions violentes et physiques qu'elle ne s'expliquait pas et qui, tout à coup, prenaient du sens, comme une crise d'éclampsie juste après l'accouchement de son fils, quand sa mère est entrée dans la chambre de la maternité, et ensuite, à la naissance de sa fille, l'impossiblité de l'allaiter, malgré son désir de le faire. Tous ces indices semblent s'expliquer à la lumière de la traduction. Babette s'en va, tout à fait en forme.

Remarque importante.

Je ne voudrais pas que les anti-IVG utilisent ce rêve pour leur combat. C'est au contraire juste l'inverse qu'il faut bien comprendre. Un enfant non désiré court un risque majeur : celui de ne jamais pouvoir être heureux. Aussi, il me paraît bien préférable de ne pas le mettre au monde.

Je tiens à ajouter ceci : Garder un enfant au nom de la religion est quelque chose de très fluctuant. En effet, le temps n'est pas si loin (c'était même l'époque où la mère de Babette a cherché à se délivrer d'elle), où les filles-mères étaient la honte de leur famille, rejetées par l'Eglise parce qu'elles avaient "fauté". La virginité jusqu'au mariage était la seule valeur reconnue. Depuis, la libération des moeurs a forcé la religion catholique à retourner sa veste. Aujourd'hui, les prêtres crient que la vie est sacrée, même dès la conception. Mais ceux qui se dressent contre les avortements - au nom de Dieu - ne respectent pas l'humain : Ni la mère qui l'a décidé ainsi, ni l'enfant à naître qui va porter ce poids toute sa vie, avec le terrible handicap, parfois, d'un abandon effectif - ce qui est la pire chose qui puisse arriver à un être humain. Or c'est ce que prônent les défenseurs de la grossesse à tout prix : Mettre l'enfant au monde, puis le confier à la DASS, plutôt que d'en avorter. C'est atroce de ne pas respecter à ce point le bien-être de ce futur être humain quand on sait combien il est difficile de vivre sans racines.

D'ailleurs, si un avortement était vraiment interdit par ce que nous appelons "Dieu", les fausses-couches naturelles n'existeraient pas.

Enfin - et c'est peut-être le plus important - celui qui condamne les IVG projette très probablement sur la mère qui a pris cette décision sa propre histoire d'enfant mal aimé, avec une condamnation implicite de sa propre génitrice. Bien entendu, cette vision des choses est globale, et donc forcément limitée ou fausse pour un certain nombre d'entre eux. L'autre aspect de cette prise de position fait intervenir l'ego, qui a toujours raison et peut faire oeuvre de terrorisme au nom d'un soi-disant respect de la vie. Quand on sait que certains médecins pratiquant l'avortement ont été tués aux Etats-Unis, on peut se poser des questions sur le sens que leurs auteurs accordent véritablement à la vie...

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