RÊVE numéro 19

Je reprends ici l'histoire d'Estelle. (rêve numéro 16)

À la septième séance, elle avait réglé ses douleurs d'enfance, en les regardant en face et en les réparant. Beaucoup de souvenirs lui étaient revenus, qu'elle avait refoulés et qui ne demandaient qu'à sortir afin qu'elle puisse en guérir. La petite fille en elle avait grandi, elle se sentait plus forte, plus solide, plus confiante. Mais son problème vis à vis du sexe n'avait pas évolué du tout. Aucun besoin, aucune envie, aucun désir.

Elle souhaite le travailler. Je propose d'aller y faire un tour. Cela signifie visualiser les parties génitales et essayer de comprendre la valeur symbolique des images envoyées par l'inconscient. Estelle est d'accord. Même si elle éprouve un peu d'appréhension, elle sait maintenant que son inconscient ne cherche qu'à l'aider et que son aide est précieuse, toujours adaptée à ses besoins. Nous commençons. Je lui demande de visualiser le sexe.

- Je vois une forêt au bout d'un tuyau. Les troncs sont si serrés que je ne peux même pas y entrer.

La forêt impénétrable me fait tout de suite penser à celle de la Belle au Bois Dormant, que seul, le Prince Charmant réussit à faire s'ouvrir devant lui (ce qui est effectivement un symbole de l'amour charnel : quand la femme ouvre son corps au passage de l'homme en elle).

- Au fur et à mesure que vous parlez, un passage s'ouvre effectivement. Je suis influencée par vos paroles. (Je la rassure : Si l'inconscient fait évoluer l'image, c'est que je l'ai bien comprise et qu'il peut continuer à s'exprimer). Je vois maintenant une clairière, dégagée. Il y a un château, celui de la princesse du conte. (Elle rit). Il y a une grande arcade. On peut entrer. C'est bizarre. Je m'entends parler. Oui oui, bien sûr, c'est normal. (Elle semble comprendre quelque chose que j'ai perdu de vue. Je me renseigne. Elle rit). Je suis en train d'entrer dans mon vagin. L'arcade en est une visualisation symbolique et innocente. J'entre. Il n'y a pas de porte, juste l'arcade. Ce sont de vieilles pierres, suintantes, sombres.

- Très bien. C'est ce que nous avons demandé à votre inconscient de vous montrer.

- Je crois. Je ne me sens pas à l'aise. Je suis là, au milieu, et ne sais où aller. Il n'y a pas de lumière. (Je lui propose d'éclairer toute la scène, ce qui équivaut à prendre conscience de quelque chose, lié à sa sexualité. Elle le fait). C'est du sang qui coule partout. Il y a sur le sol une grande mare de sang. (Le sang parle de souffrance, de blessures. Un grand nettoyage avec l'eau de l'inconscient - cette eau qui guérit de tout - serait le bienvenu). Oui, dit-elle. Je lave. Il y en a beaucoup. Je n'y arrive pas. Les pierres suintent toujours. Je râcle cette mare de sang qui brille. Je la fais sortir par l'arcade. C'est marron, brun. (C'est parce que c'est très ancien. Mais elle va y arriver, je l'encourage à insister.) D'accord. C'est dur, ça m'éclabousse. Je nettoie, je rince, je frotte. Je veux tout faire partir. Les pierres commencent à briller. Mais dans le fond, c'est bien plus noir, et je ne peux rien voir : ma lumière ne va pas jusqu'au bout. Et personne ne peut venir m'aider. Il y a de l'eau et du sang. Je suis à genoux. Le fond reste obscur.

- Appelez votre soleil intérieur, il vous éclairera.

- Oui. C'est... dégoûtant, dedans. Je vois du sang séché, accroché. (Soupir). Je frotte avec une spatule. (Une forte émotion l'envahit. Elle se met à pleurer). Pour enlever ça... ça me fait mal... Y a autre chose qui vient... Je sens un pieu en moi, un bout de bois qu'on me met de force dans le vagin... (Je la sens très mal, mais en même temps, des explications deviennent possibles. Elle se posait la question, depuis longtemps, de savoir si elle avait été violée... Avant toute chose, je lui suggère d'enlever le pieu). Oui. J'y arrive. C'est grâce au soleil que j'ai réussi. Mais je ne me sens pas bien du tout. J'ai fermé mes jambes. C'est maintenant comme si un homme était en train de me violer avec ce bâton. J'ai l'impression d'avoir été déchirée...

Pendant les séances précédentes, elle s'était souvenue d'avoir vu sa soeur violée par le boulanger et plus tard par son frère aîné. Mais elle avait été formelle : Ce n'était pas à elle que c'était arrivé, même si cela l'avait bouleversée et traumatisée. Elle était encore dans son lit-cage lorsqu'elle avait vu le boulanger agir (sous les yeux de sa mère !). Avait-elle occulté quelque chose ?

- Avez-vous le souvenir d'avoir été violée ?

- Non, dit-elle. Je n'ai pas de souvenir de ce genre.

Je dois tenir compte de ce ressenti et trouver une explication plausible. C'est pour moi un principe absolu : C'est la personne qui sait, c'est elle qui sent, c'est elle qui a vécu ce que son inconscient lui suggère et lui soumet. Il y a deux possibilités. Soit c'est vrai. Soit c'est faux. Si c'est un mensonge, je le respecte aussi, car cela signifie qu'elle n'est pas prête à le regarder en face aujourd'hui. Dans les deux cas je me dois de tenir compte de sa parole. Puisqu'elle m'a dit Non, je la suis sur cette certitude. Cependant, il faut que je trouve une explication.

Ma seule piste serait l'ego. Je sais comment il fonctionne. Il est capable de reproduire pour son propre compte ce qu'il a vu fonctionner dehors. Autrement dit, il a utilisé le vécu de cette petite fille pour l'intérioriser et lui faire subir la même chose, intérieurement, psychologiquement. C'est lui qui a fait barrage à une sexualité épanouie. Il a été le bâton qui s'interposait entre Estelle et les hommes qu'elle a pu rencontrer. Il lui interdisait ainsi toute relation saine, fondée sur l'amour et le plaisir, puisque cela empêchait tout désir. Comme aurait-elle pu éprouver du plaisir dans ces conditions ? La souffrance et l'horreur de ce qu'elle avait vu sans le comprendre vraiment (quand elle était encore presque un bébé), l'ego l'avait précieusement gardé en elle, dans cette partie de son corps, et il en avait profité pour s'implanter lui-même solidement, comme un garde-chiourme impitoyable. Cela pourrait signifier qu'elle n'a jamais été violée, mais que son ego l'a fait - virtuellement -, afin de la couper de toute relation sexuelle épanouissante. Je lui demande ce qu'elle pense de cette explication, si cela lui parle - ou non.

- Je crois que c'est juste, dit-elle. Cela me révolte, mais... oui. J'ai envie d'y croire. Je ne me sens pas super à l'aise, mais ça a une résonnance. L'émotionnel est toujours là, ça redescend, ça retombe. Oui, je sens que le psychisme a été trompeur. J'ai vraiment eu peur, tout à l'heure quand j'ai senti ce bâton. Il était vraiment entre mes jambes. Je me disais, c'est pas possible, je me rappellerais ! Je ne savais plus... Mais si c'est mon ego, comme vous dites...

Personnellement, je n'ai aucune preuve. Elle sentait le bâton, alors qu'elle était toute seule, comme si elle était en train d'être violée. C'était fort, mais elle seule sait de quoi cela relève, si ce n'est que psychologique. Cela emporte définitivement son adhésion.

- Oui, dit-elle, je suis tout à fait d'accord. C'est redescendu. Mon Dieu, où peut-il nous mener ? Avoir autant d'entraves psychologiques ! Cela me met devant le fait. J'ai longtemps douté. Pour être bloquée comme ça, j'avais dû subir un viol ! Et là, non. Ce n'est pas du tout le même sentiment. De voir en un quart d'heure ce qui s'est produit, ça me remet les pendules à l'heure. Je suis rendue à moi-même. Je me sens bien, tout à coup. Je vais bien.

Pour moi, c'est le signe que l'analyse était juste. La vérité répare toujours, c'est elle qui guérit, en fait. Je lui demande de me décrire l'image.

- C'est tout propre. Ce ne sont plus des pierres, c'est lisse et chaud, et accueillant. C'est clair, aussi. C'est réparé. Je n'ai pas le sentiment d'avoir encore quelque chose à y faire. Même physiquement, je n'ai plus les jambes fermées. C'est étrange, comme impression. C'est une différence de sensation. Comment dire ? Cela fait partie de moi, maintenant, c'est à moi. Je ne sais pas ce que je vais en faire, c'est comme si on m'avait rajouté un élément. C'est simple, naturel, authentique. Vrai. C'est très étrange. (Je dis qu'elle va s'y habituer très vite : On investit sans problème ce qui nous fait du bien). Je suis fatiguée. Tout à l'heure, ça m'a vidée, mais de choses négatives. J'ai l'impression d'avoir évacué un truc qui m'empêchait d'avancer. Cela n'a rien à voir avec les autres fois où je me sentais exténuée. Là, j'ai plus l'impression de m'être débarrassée de quelque chose. Il y a un truc en moins, qui était pesant, et que je n'ai plus. (Je lui propose une thalasso virtuelle afin de se relaxer). J'y suis, dit-elle. Je plonge, je nage, l'eau est fraîche, il y a le soleil au-dessus, qui me réchauffe. L'eau est un élément dans lequel je suis tellement bien ! Elle est transparente, elle fouette mon corps, ça me fait du bien, j'en profite comme un enfant, je saute, je joue, je me repose, me pose. C'est on ne peut plus agréable, en sachant ça, en plus : que c'est intérieur et accessible à tout moment ! Être là, être juste bien, sans souci, sans rien derrière de négatif !

La semaine suivante, Estelle m'a confirmé son bien-être. Elle avait fait l'amour avec son mari.

- Je ne me sentais pas contrainte, ça s'est fait naturellement, ç'a été... charmant. Je me sens très différente.

Mais il n'y a pas eu de suite...

Au bout de quelques semaines, elle m'a demandé de revenir sur ce problème. Pourquoi cela n'avançait-il pas ? Nous avons repris les mêmes images, et là, soudain, tout a changé. Elle s'est retrouvée de nouveau dans un contexte de viol. Et cette fois, il n'y a pas eu de possibilité de fuite. Elle disait pourtant en pleurant qu'elle ne voulait pas y aller, qu'elle ne voulait pas savoir, c'était trop terrible. C'était impossible, elle devait être en train de tout inventer ! Cela a été bouleversant. Elle avait la voix d'une toute petite fille qui pleurait et criait et disait qu'elle avait mal. Elle s'est revue petite, presque bébé, violée par son grand frère, qui s'amusait d'elle avec ses copains. Cela a été l'horreur.

Il a fallu trois séances pour lui apporter un peu de paix, pour réparer et guérir ce traumatisme atroce. Je lui ai rappelé, à la fin de la première ce que je viens de décrire. Elle m'a dit :

- Quand vous m'avez demandé si j'avais subi un viol, je vous ai dit non, mais une voix en moi affirmait le contraire. Mais c'était trop dur, je ne voulais pas.

Elle avait cru pouvoir en faire l'économie. C'est une mauvaise stratégie, car on ne peut pas se construire sur un mensonge. Cependant, il faut respecter le sujet, jusque dans ses fuites. Estelle le savait aussi bien que moi : Seule, la vérité guérit, même quand elle est insoutenable. Mon rôle était de l'accompagner dans ses avancées comme dans ses reculs. Qui, mieux qu'elle, sait ce qu'elle a vécu ? Certainement pas moi ! C'est pourquoi le respect de sa parole était le minimum absolu. Elle en avait très peur, mais en même temps, elle était obligée d'aller chercher ses souvenirs, si terribles fussent-ils. Elle a fini par le faire. De plus, et il est essentiel de comprendre cela, c'est le seul moyen d'arrêter la malédiction. Sa mère avait été violée enfant, sa soeur aussi - elle aussi, elle le sait maintenant. Pour elle, le tabou a sauté. L'ignorance et les non-dits génèrent la répétition. Estelle a deux enfants, un garçon et une petite fille, avec la même différence d'âge qu'entre elle-même et son grand frère. Elle me dit que c'est la peur que la chose se reproduise encore qui lui a donné la force d'aller explorer son douloureux passé.

Tout lui est revenu, ce qui était indispensable pour qu'elle puisse réparer les dommages subis, et rassurer la petite Estelle, la guérir - par l'amour. C'est le seul remède. Cela a été très douloureux, bouleversant. Lors de la seconde séance, elle a commencé à aller mieux.

- J'ai toujours la même chose à regarder, c'est ma façon de la regarder qui a changé.

On ne peut s'exprimer plus justement sur le travail qu'on peut faire en psychanalyse. À la fin de la troisième séance, la petite fille était devenue une adulte. Estelle la voyait devant elle. Je lui ai demandé si elle avait quelque chose à lui dire.

- "Battons-nous !.." me dit-elle. Elle veut qu'on construise la vie, aujourd'hui...

Il m'a semblé que cela signifiait que nous avions achevé de faire le tour de son terrible vécu. Je la remercie de m'avoir autorisée à mettre son cas en ligne.

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