Rêve numéro 12

La situation. Il s'agit d'Eric, un jeune garçon de 15 ans. Sa mère me l'amène parce qu'il est infernal à la maison, spécialement avec son petit frère de 11 ans. Il passe son temps sur sa console de jeux, s'avachit devant la télé, et oppose aux demandes de ses parents une léthargie dont rien ne peut venir à bout.

- Je ne le fais pas exprès, dit-il, je veux obéir, mais tout de suite après, j'oublie. Quand j'y repense, c'est trop tard, et je suis grondé ou puni.

La maman n'est pas tout à fait d'accord. Elle précise qu'il ment sciemment lorsqu'on lui pose certaines questions. Il assure par exemple n'avoir pas abusé de son téléphone portable, mais la note prouve le contraire. Son père vient d'ailleurs de le lui confisquer. Eric n'a rien à opposer à cela. Il reconnaît même que sa mère a raison. Toutefois, il se défend en ce qui concerne son petit frère. Celui-ci le cherche et le harcèle jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. Alors, c'est vrai, il ne peut plus se contrôler et le frappe parfois violemment.

Je pose des questions sur l'ambiance familiale. La mère et le fils tombent d'accord sur le fait que le papa est souvent absent, et même lorsqu'il est là, il ne s'occupe que rarement de ses deux garçons. Manifestement, c'est la seule piste qui leur soit venue pour expliquer la situation. Certes, les parents ont une responsabilité dans l'éducation de leurs enfants, mais j'ai tendance à croire que ceux qui sont véritablement 'coupables' n'amènent pas leur progéniture chez le psy. Avant de les suivre sur cette piste, je demande donc à Eric de quoi il rêve. Il me répond d'abord qu'il ne s'en souvient pas.

- Quand j'étais petit, explique-t-il, je faisais des cauchemars. Je combattais un dragon et je m'enfuyais. Je voulais sauter d'une falaise sur une autre, je croyais l'écart petit mais, en sautant, je me rendais compte que l'écart était très large et je tombais. Je me réveillais avant de mourir. J'adore les dragons, ajoute-t-il. J'en rêve souvent. Soit j'en ai un pour monture, comme dans Eragon, soit c'est un ennemi. Mais je n'ai pas besoin de rêver pour en voir un. Là, par exemple, quand je parle, le dragon est là, devant moi, je le vois très bien, et moi aussi. Je me vois reculer et tomber par terre. Il crache le feu.

L'explication. Pour moi, c'est très clair : le dragon étant un symbole de l'ego, ce garçon est totalement sous l'emprise de son dragon intérieur, qui agit à sa place dans tous ses comportements négatifs. C'est lui qui se met en colère et frappe son frère. C'est lui qui n'obéit pas et n'en fait qu'à sa tête. C'est lui qui n'écoute pas en classe et le maintient dans des résultats médiocres malgré sa vive intelligence. Il avait en effet été étiqueté comme un surdoué au CP. Je lui dis que nous sommes tous deux à l'intérieur.

- Il y a en toi le vrai Eric, qui habite dans ton coeur, mais il y a aussi un autre Eric, qui n'est pas toi, qui te veut du mal, et qui prend chez toi l'apparence d'un dragon. Or tu n'es pas un dragon, tu es un être humain et tu ne dois pas lui laisser le pouvoir.

Ces explications l'éclairent et conviennent aussi à la maman. Elle dit :

- Il a en fait deux comportements. Parfois, il est très sensible, très affectueux et d'autres fois, quand il est en crise, il est tellement agressif qu'on n'arrive pas à le maîtriser. Après, il se rend compte, et il retourne son agressivité contre lui. Il a alors un comportement auto-destructeur.

Je lui demande s'il est d'accord avec mon explication. "C'est tout moi, dit-il : votre explication et ce que dit maman."

Dans son ancien rêve, le précipice peut symboliser sa maman et la falaise sur laquelle il veut sauter, son papa. Le dragon reste son ego, auquel il aimerait pouvoir échapper, mais il a besoin pour cela de l'aide de ses parents. Or, son père est trop lointain (pas accessible) et sa mère ne soutient pas le vrai Eric contre le faux (contre son ego). Ce cas est très fréquent, car les parents ignorent la présence de l'ego à l'intérieur de l'être humain et beaucoup d'entre eux n'osent pas punir ou donner une fessée - par amour pour leur enfant - sans se rendre compte que c'est hélas l'ego qui en profite en prenant le pouvoir.

Nous tenons donc la cause du problème. Il s'agit maintenant de l'éliminer. Ce ne sera pas facile car il adore les dragons, et il va falloir qu'il comprenne que cet amour est très mal placé, car les dragons, eux, le détestent et veulent le détruire à terme.

La thérapie. Le dragon étant parfaitement visible pour Eric, je lui demande de le tuer. Il a une arme, mais elle explose contre le bouclier qui le protège. La lumière ne fonctionne pas non plus. Il est dans un endroit très sombre que la lumière ne peut traverser. Je demande à Eric de chercher une porte et d'entrer. Il le fait sans difficulté, mais ajoute que le dragon ne craint pas la lumière. Elle l'éclaire, c'est tout. Il dit que l'animal est fait de feu et que peut-être, il craint l'eau. C'est une excellente idée. Je lui conseille d'utiliser un jet d'eau. En effet, il recule, essaie de se protéger, crache de la fumée, rétrécit à vue d'oeil... et finit par disparaître. Mais il revient. Eric recommence l'opération trois fois de suite. Puis, son frère apparaît, il le prend dans ses bras, toute la famille est réunie, tout le noir est parti, le soleil brille comme en plein jour.

Le garçon me regarde et dit : "Je me sens mieux." Mais il ne savait pas vraiment qu'il était mal. Il le voit maintenant, par comparaison.

La maman essuie une larme d'émotion. "C'est tellement dur à vivre," dit-elle.

Je recommande de tuer le dragon dès sa réapparition pendant la semaine. Mais au RV suivant, rien n'a vraiment changé. Eric s'est heurté à des oeufs de dragon, indestructibles. Ensemble, nous avons trouvé des solutions. L'eau (de l'inconscient) reste l'outil le plus efficace. Mais les résultats dans le vécu familial se sont fait attendre. À la quatrième séance, il y avait eu un petit mieux pendant la semaine - moins de conflits, moins de bagarres, plus de sérieux dans les devoirs de vacances. Les oeufs disparurent complètement pendant cette séance-là. Mais ce n'était pas encore ça. Toutefois, l'ego ne se présentait plus comme un dragon, et du reste, quand Eric en parlait, il ne le voyait plus. Au fil des séances, l'ego avait pris la forme de différents animaux (araignées -très nombreuses-, lion, crocodile, girafe) toujours uniquement en visualisation, car il ne se souvenait pas de ses rêves. Chaque fois, Eric les a exterminés, avec de plus en plus de facilité.

Enfin, à la cinquième séance, tout allait beaucoup mieux. Le papa a confirmé le changement. Eric se contrôlait bien avec son frère, il avait achevé ses devoirs de vacances et il se sentait vraiment guéri. La rentrée des classes approchant, nous avons convenu que le prochain rendez-vous (s'il y en avait un) ne serait pris que s'il y avait une rechute. Eric a maintenant l'outil nécessaire pour contrôler son ego et il peut très bien le faire sans moi. La partie semble gagnée. J'ai simplement rappelé que l'ego peut prendre un autre fonctionnement, tout à fait différent, mais toujours générateur de malaise ou de mal-être : Il faut toujours penser à lui quand les choses se dérèglent.

En attendant, souhaitons Bonne Chance à Eric.

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