UNE REGRESSION

(= Rêve numéro 2)

Préalable. L'inconscient parle par images. Que ces images viennent durant un rêve ou un cauchemar, surgissent au cours d'une vision spontanée ou se manifestent parce qu'on les a appelées pendant une séance de rêve éveillé, d'hypnose ou de régression, il est indispensable de les traduire pour accéder à leur véritable sens.

Les raisons de la démarche. Blanche a une cinquantaine d'années. Elle est née avec une main atrophiée. Vers l'âge de 40 ans, toujours en quête d'une réponse afin d'expliquer cela, elle est allée voir quelqu'un pour faire une régression sous hypnose. Elle voulait savoir ce qui s'était passé pendant la grossesse de sa mère. Voici ce qu'elle a 'vu' pendant sa séance.

Les images qui se sont imposées. Quinze ans après, Blanche raconte :

Je suis passée immédiatement dans une sorte de tunnel et je me suis retrouvée dans le ventre de ma mère. Je ne voulais pas en sortir, je me collais en haut de l'utérus pour éviter cela. En même temps, je voyais un feu en dehors, comme si je pouvais voir par une ouverture... et j'étais très attirée par ce feu. [Cela a du reste toujours été vrai, au propre comme au figuré. J'ai toujours 'joué avec le feu'...]

Je n'ai pas assisté à ma naissance.

Je ne sais comment, tout de suite après, je me suis vue beaucoup plus loin dans le temps. J'étais une petite servante dans un château-fort très austère, en Autriche. J'étais très effrayée, car le maître des lieux me reprochait quelque chose. Il était vêtu de noir, avec une grande cape. Il m'a punie. Il a pris un outil ancien, un de ceux qu'on voit dans les combats médiévaux : une boule de fer hérissée de piquants.... et il m'a écrasé la main avec.

La dernière image a été un mouvement de foule, qui m'a permis de m'enfuir. J'avais un enfant avec moi, mais ce n'était pas le mien. Je suis allée me cacher, loin, dans une sorte de clairière. Et tout s'est arrêté là.

Principe de base.

Lorsque l'inconscient parle, il ne dit JAMAIS quelque chose que le sujet ignore totalement. JAMAIS, et je suis formelle. Il va utiliser sa langue - symbolique - pour mettre en scène le vécu du sujet, comme dans un film.

Blanche avait eu un père tyrannique, capable de violentes colères, et dont les décisions étaient sans appel. Elle le craignait dans un sens, mais elle ne pouvait s'empêcher de se confronter à lui. Les roustes et les punitions ne la dissuadaient pas de recommencer. C'est l'explication de la seconde image. Son père était un homme austère, capable d'écraser la volonté de sa fille sous le poids de son pouvoir d'adulte, étayé par un catholicisme étroit et aveugle. La main symbolise très naturellement les actes puisqu'on agit, on fait des choses, grâce et avec les mains. Le père de Blanche s'opposait la plupart du temps à ce que l'enfant voulait faire. L'outil ancien pourrait représenter sa violence injuste, mais aussi la religion, la menace de l'enfer, les flammes auxquelles l'enfant n'échapperait pas si elle désobéissait. Cela nous ramène à la première image.

La mère de Blanche ne la protégeait pas. Pour elle, son mari était un dieu : il avait toujours raison. Il est donc impossible que l'image évoque l'utérus maternel. L'endroit où Blanche s'est retrouvée dès le départ pourrait être son propre inconscient. Ce pourrait être aussi un côté adulte d'elle-même, surgi très tôt, pour pouvoir faire face à son père. Le feu le représente, quand il s'enflammait de colère, et le ressenti de la rêveuse parle de sa peur (elle se collait en haut de la poche) associée à son irrésistible attirance. C'est ce qu'elle voulait dire à travers l'expression 'jouer avec le feu'. Elle bravait son père, sachant ce qu'il allait lui en coûter.

On peut hésiter pour la troisième image : Comme la mère de Blanche ne la protégeait pas, j'ai d'abord fait l'hypothèse que l'enfant qu'elle portait était justement sa mère, restée une petite fille en face de son mari. Mais cela n'expliquait pas le mouvement de foule qui avait permis à la petite servante de s'échapper, ni du reste la clairière dans laquelle se terminait la séance. Il serait peut-être plus judicieux de supposer que l'enfant symbolisait un reste d'enfance dans l'âme de Blanche, qu'elle avait emporté avec elle en quittant le foyer familial (après son mariage). La clairière prend alors sa valeur symbolique d'éclaircie dans sa vie. Ou peut-être de vision éclairée (consciente) de ce qu'elle avait subi.

L'accord du sujet. Tout cela résonne profond dans le coeur de Blanche. C'est bien son vécu qui est décodé là. Elle le retrouve et sent combien la traduction est juste. Son accord est précieux. Sans lui, toute interprétation reste intellectuelle et finalement sans grande valeur. C'est pourquoi les vies antérieures prises comme telles et entérinées sans preuves ne font pas avancer le sujet, puisqu'elles ne lui apprennent rien sur lui-même, dans la mesure où il n'en a aucun souvenir. En effet, seule l'expérience permet d'avancer et de comprendre. Sans la preuve de l'expérience, la vie antérieure est comparable à un film, qui divertit sur le moment, mais n'apporte aucune espèce de vérité personnelle au spectateur.

La réponse à la question du sujet.

Dans le cadre de l'explication proposée, l'inconscient n'a donné aucune réponse à la question initiale de Blanche. Lorsqu'elle est née (la naissance n'avait pas eu lieu dans la régression, ce qui pouvait signifier qu'il ne s'agissait pas de cela...), elle ne savait absolument pas quelle serait sa relation avec son papa. Elle était vierge de tout a-priori. C'est au cours de son enfance qu'elle a expérimenté cette relation et l'a vécue comme son inconscient le lui a proposé pendant la régression. Ce n'est pas 'une vie antérieure', c'est simplement son 'passé antérieur'.

Pourtant, on peut essayer de proposer à Blanche une explication de son handicap. Questionnée sur sa mère, elle a expliqué que celle-ci était passée de l'autorité tyrannique de sa propre mère à celle de son mari, et qu'elle ne s'était jamais révoltée. De plus, le père, si austère avec Blanche, avait subi lui-même la dureté de sa mère pendant sa propre enfance. Même adulte, il avait plié sous sa loi : il s'était marié tard - à 40 ans, parce qu'elle ne le lui avait pas permis avant...

Si on considère que le bébé à naître reçoit dès la conception un patrimoine génétique, venant à moitié du père, à moitié de la mère, il est possible d'imaginer que le handicap moral subi par les parents (incapables d'agir par eux-mêmes vis à vis de leurs génitrices) se soit traduit - exprimé - à travers le handicap de leur petite fille, dont la main atrophiée leur affichait à tous les deux leur propre incapacité à agir en face de leur mère.

Cette explication a convenu à Blanche. Elle s'appuie sur le vécu familial, ce qui lui donne une résonnance à la fois profonde et... cartésienne. Pour moi, le ressenti du rêveur est mon garde-fou. Je pèse ce mot. Car toute explication qui n'en tient pas compte peut partir dans des considérations un peu - parfois complètement - folles.

Je ne suis pas hostile à une autre approche liée à des arguments solides ou vécus. Si un internaute en a une à me proposer, je la recevrai très favorablement et la communiquerai à Blanche.

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