J'accuse !

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L'insécurité est devenue le leitmotiv des partis politiques, et de tous les analystes de notre société. Deux outils sont constamment proposés : l'éducation et la répression. Or, la seconde fait partie de la première, car elle pose des limites à l'intérieur desquelles l'éducation devient possible. Mais de quelle répression s'agit-il ? Pour moi, elle ne peut être que personnelle et intérieure...

Les émeutes des banlieues, en Novembre 2005, ont véritablement secoué notre pays. Le résultat le plus flagrant, c'est que le gouvernement (comme l'ensemble des français), a tout à coup réalisé qu'il y avait un vrai problème. Pourquoi faut-il toujours aller jusqu'au bout de l'injustice pour la reconnaître comme telle et essayer de la changer ? Je vais proposer une explication qui n'a jamais été envisagée (à ma connaissance).

Le vrai coupable serait l'ego collectif et personnel dans toutes les sociétés et à toutes les époques.

La répétition du même processus

Les exemples sont si nombreux, que c'est une constante dans l'évolution de notre humanité. Toutes les sociétés depuis toujours, ont été basées sur le pouvoir de quelques-uns sur la masse du peuple. Je ne veux pas remonter au-delà du XVIIIème, le siècle des lumières, car le terme dont on l'a nommé symbolise la conscience, et c'est ce dont notre humanité a besoin pour changer vraiment.

1789. La révolution française. La révolte s'appuyait sur des siècles d'injustice. La noblesse avait tous les droits, et le peuple n'en avait aucun. Si le pouvoir en place avait fait preuve d'humanité, il n'y aurait pas eu de révolution... Les injustices et les abus qui ont eu lieu dans l'autre sens semblent prouver que l'homme est incapable de bon sens et de véritable justice. Les têtes coupées témoignent d'une barbarie acceptée et reconnue par tous, à cette époque-là.

XIXème siècle. La révolution industrielle. Elle a eu entre autres résultats le développement d'une bourgeoisie fondée sur le patronat. Le peuple agricole s'est peu à peu transformé en peuple ouvrier. Si les patrons avaient traité leurs employés avec humanité, en leur donnant des salaires décents pour un temps de travail normal, au lieu de chercher en priorité à augmenter leur fortune personnelle, il n'y aurait pas eu au siècle suivant la grande grève de 1936. Les syndicats ont été un contre-balancier indispensable, à cause des abus du patronat.

XXème siècle. La fin de la colonisation. Les abus du pouvoir en place ont fini par provoquer la révolte des indigènes dans tous les pays d'Afrique et d'Asie. Encore une fois, si le partage du pouvoir et des richesses avait eu lieu, si le petit peuple avait été traité avec justice et égalité, les résultats auraient été sans doute très différents. Mais il semble que la logique des abus de pouvoir soit une constante dont nous n'avons jamais pu nous défaire. La meilleure preuve en est donnée par toutes les dictatures qui ont suivi le départ des colons, et qui ont été installées par les nouveaux dirigeants, pourtant sortis eux-mêmes du peuple exploité. Comment est-ce possible? Sommes-nous donc incapables de véritable fraternité ?

Le mouvement féministe. Il a été déclenché par les abus du pouvoir masculin. Les hommes ont maintenu les femmes dans l'esclavage quotidien du ménage-lessive-cuisine, avec le seul rôle de mère disponible à la maison, celui d'hétaïre à l'extérieur. Nous avions, paraît-il, le cerveau plus petit que celui des hommes. C'est ce qui nous rendait inférieures. Cela, je l'ai vécu personnellement. Mon père était effectivement plus intelligent que ma mère, mais il avait deux fils et une fille (moi). Je fus la seule à faire des études longues. Comment se sortait-il de cette contradiction ? Je n'en sais rien, mais il véhiculait sans la remettre en cause la supériorité masculine contre laquelle je m'insurgeai à l'adolescence. Il eut un jour cet argument qui me laissa pantoise, non pas parce que je l'ignorais, mais parce que cela venait de lui, que je considérais comme un intellectuel intelligent: "Qui est-ce qui pisse le plus haut?" Il n'y a pas de discussion possible dans la mauvaise foi et les arguments imbéciles. Aujourd'hui nous n'en sommes plus là. Mais les femmes ont encore du chemin à faire pour conquérir l'égalité des droits. Elles ont toutefois expérimenté l'autre extrémité du balancier, avec les abus que cela comporte forcément. L'homme-kleenex, qu'on jette après usage en est un exemple parlant. Lorsqu'on se révolte contre un fonctionnement inique, il semble évident qu'il vaut mieux éviter de le reproduire pour son compte personnel. C'est pourtant ce qu'on fait toujours, semble-t-il...

La chute des tyrans. Cette chute s'installe un peu partout dans le monde, que la tyrannie soit fondée sur des valeurs de gauche ou de droite. Les peuples se révoltent pour obtenir leur indépendance et installer la démocratie. Les résultats sont souvent assez faibles dans le domaine du mieux-être. Les nouveaux dirigeants reprennent à leur compte l'exploitation du faible par le pouvoir, quel qu'il soit. On se demande comment cela est possible. On dirait que l'expérience ne sert jamais de leçon.

Les émeutes de banlieues. Elles sont le signe d'un ras-le-bol de la part d'une population exclue de la richesse nationale, mise à l'écart pour des causes inavouables de racisme, d'intolérance religieuse et d'exploitation de l'homme par l'homme. Ce dernier abus dépasse largement les cités, car de nombreux ouvriers employés au SMIC se sentent sûrement concernés par la révolte, même si leur peau est blanche et leur nom français. Pourquoi faut-il que le pouvoir en place abuse toujours de ses prérogatives jusqu'à ce que l'injustice subie déclenche la révolution, qui lui fait tout perdre ? Où est la fraternité de notre logo républicain qui orne le fronton de toutes les mairies ? Ce n'est qu'une formule qui n'a pas de racines dans notre coeur, et qui ne peut donc avoir de résultats dans nos actes.

Les exactions du faible sur plus faible que lui. Mais pourquoi l'exploité est-il capable d'autant de noirceur que son exploiteur ? Pourquoi l'exclu se venge-t-il aveuglément sur le premier innocent venu ? S'il est une victime, pourquoi est-il aussi capable d'être un bourreau ? Pourquoi pille-t-il les magasins, incendie les voitures de ses voisins, met le feu à une handicapée dans un bus, détruit les écoles qui accueillent les enfants de ses propres cités ?

Et avant cela, pourquoi fait-il brûler une fille qui réclame sa liberté, exactement comme lui, mais cette fois, par rapport à lui ? Pourquoi est-il capable de ce viol collectif, cette horreur qu'on appelle les tournantes ? Pourquoi empoisonne-t-il ses propres copains, et lui-même, avec la drogue qui détruit et dénature ceux qui s'en servent ? Pourquoi est-il capable d'une violence gratuite qui provoque le rejet de la part des autres habitants ? Pourquoi règne-t-il par la peur, alors même qu'il revendique plus de justice et de fraternité ? Pourquoi la violence conjugale fait-elle tant de victimes parmi les femmes, alors même que leurs conjoints disent les aimer ? Les aimer jusqu'à les frapper, les violer et les tuer ? Pourquoi l'excision ? Pourquoi la circoncision ? Pourquoi les mariages forcés? Pourquoi tant d'abus de la part des parents sur leurs enfants, même devenus adultes ?

J'accuse !

Le vrai coupable habite dans l'homme, depuis toujours. Mais nous ne l'avons manifestement jamais encore démasqué, puisqu'il continue à agir sans empêchement majeur, et cela depuis la nuit des temps. Le vrai coupable est à l'intérieur de chacun d'entre nous. C'est lui qui nous pousse à l'injustice, au rapport de forces, à la cruauté, à l'acceptation de fausses valeurs, telles que l'argent, le pouvoir et le sexe, valeurs utilisées sans discernement, ce qui débouche sur les abus répertoriés ci-dessus.

Car nous sommes tous deux à l'intérieur : notre âme, dont le siège est le coeur, et notre ego, qui fonctionne dans le mental, et qui nous persuade que l'argent, le pouvoir et le sexe sont des valeurs en soi, suffisantes pour nous rendre heureux. Malheureusement, cela provoque l'exploitation de l'homme par l'homme, de la femme par l'homme, du faible par le fort, du pauvre par le riche, de l'enfant par l'adulte, de l'être humain par... l'animal, cet animal qui est à l'oeuvre dans le monde intérieur de chacun d'entre nous. Cet animal, je l'appelle l'ego. C'est lui le vrai coupable. C'est lui que ce texte accuse. C'est lui qui est pointé du doigt dans la formule connue: L'homme est un loup pour l'homme. Car l'ego-loup prend forcément figure humaine lorsqu'il fonctionne à l'intérieur de nous. Il n'en reste pas moins un prédateur...

Mais sa réussite magistrale, c'est la récupération de toutes les religions pour son usage personnel. Car sa compréhension des Ecritures (que nous croyons être la nôtre) nous a acculés à dénaturer l'idée de la divinité au point d'accepter d'honorer un Dieu indigne de ce nom, ce qui nous a tous rendus indignes de notre véritable nature humaine. Ce faux dieu, en fait, n'est rien d'autre que notre propre ego, qui s'érige en potentat à l'intérieur de nous, et fait de nous ses esclaves, souvent rebelles, mais jamais vainqueurs de façon définitive - puisque nous n'avons jamais identifié jusqu'à présent la véritable origine de toutes nos souffrances.

La dualité humaine. Depuis toujours nous nous battons pour la justice et le paradis sur terre. Depuis toujours, notre lutte débouche sur l'échec, et nos souffrances continuent à couvrir la terre de nos cris et de nos larmes. Aujourd'hui, pourtant, beaucoup de gens ont conscience de cela et refusent d'avaliser l'inacceptable. Nous cherchons désespérément une porte de sortie. Nous la trouverons le jour où nous pourrons pointer du doigt notre ego, le véritable responsable de cette situation désastreuse, afin de l'exclure du pouvoir de chacun d'entre nous.

J'accuse l'ego de tous nos dysfonctionnements humains. Il a de nombreux symboles : Il est le diable dans toutes les religions, le monstre dans les contes de fées, le serpent dans la Genèse, le dragon chez les Chinois, et en règle générale, l'animal dans la plupart de nos comportements injustes et intolérants. Il est ce qui nous reste du préhominien, cet être encore animal, qui est devenu homme en prenant conscience. Depuis l'homme préhistorique, cette conscience n'a cessé de se développer. Aujourd'hui, elle se heurte aux limites de notre inconscient. C'est pourquoi le rêve est peut-être le moyen le plus sûr de sortir du pouvoir de notre ego, car si nous savons l'identifier dans nos images nocturnes ou nos visions éveillées, nous aurons de bonnes chances de lui ôter la possibilité de nous manipuler.

En effet, son pouvoir vient essentiellement du fait que nous croyons être lui. Comment ne pas s'identifier à lui, puisqu'il pense dans notre tête? La conclusion est très naturelle: 'Je suis celui qui pense...' Toute la philosophie de Descartes est ici remise en question. "Je pense, donc je suis." Mais qui est ce "Je" ? Eh bien parfois, c'est vraiment moi (mon âme, mon coeur), mais trop souvent, ce n'est pas moi, c'est mon ego. C'est alors celui dont parle Pascal : "Le moi est haïssable." Encore faut-il faire la diffférence entre les deux "moi". L'un est notre âme, d'essence divine (puisqu'immortelle, selon les théologiens), et ce moi-là, il nous faut absolument l'aimer et lui donner le pouvoir intérieur. Car si l'âme de chaque être humain avait toujours le pouvoir de décision, notre humanité souffrante changerait radicalement de visage.

À l'inverse, cela donne toujours des catastrophes, lorsque nous laissons un animal inintelligent penser à notre place. Les animaux fonctionnent sur la peur. C'est normal, puisque la loi du plus fort est leur loi naturelle. Du coup, le plus fort mange le plus faible. Cela est tout à fait acceptable dans le règne animal, mais c'est une ignominie dans le règne humain, même si le verbe manger doit être remplacé par les verbes 'harceler, écraser, exploiter, opprimer, brutaliser, agresser, tyranniser, violer et tuer'.

Comment vérifier cette hypothèse ? Par la visualisation. C'est à mon avis le meilleur moyen de faire prendre conscience à un jeune de ce qui se trame réellement à l'intérieur de lui. Le délinquant est en effet complètement identifié à son ego. Le lui dire ne peut suffire, car c'est l'ego qui répondra, et on ne discute pas avec l'ego. C'est une des clés des dysfonctionnements de l'être humain, et de ses difficultés à les corriger. Ce qui est vrai pour un enfant ou un adolescent, est également vrai pour un adulte : un parent, un enseignant, un psy, un homme politique, un prêtre, vous ou moi. Il n'y a pas d'exception à cette situation intérieure : nous sommes tous habités par un autre, cet ennemi, et pour une certaine frange de la population, cet autre commande à la place de l'être humain. C'est lui qui vole, qui agresse, qui viole, qui tue (ou qui rend fou: cf Psychiatrie). Le délinquant et le criminel laissent leur ego agir à leur place, mais ils ne le savent pas.

Si on leur propose de visualiser cet ennemi intérieur, ils verront un monstre, un dragon, un serpent, un alien, un tueur, un voleur, un diable, une araignée, un scorpion, bref, quelque chose ou quelqu'un qui est à l'intérieur d'eux, et dont ils auront alors envie de se débarrasser car ils ressentiront le danger que leur ego leur fait courir, et les mensonges qu'il leur raconte leur apparaîtront alors clairement. Ils pourront se dissocier de lui, et le combattre efficacement.

Chacun deviendra son propre gendarme, ce qui est la seule véritable solution à l'insécurité grandissante.

La peur est la base de ces fonctionnements. Avoir peur de l'autre est la meilleure façon de justifier sa propre violence. Si les tyrans n'avaient pas peur d'être destitués, ils ne seraient pas des tyrans. C'est pourtant leur tyrannie qui les destitue en dernière analyse. Cette vérité fondamentale repose sur un paradoxe évident. Ce qui n'empêche pas la tyrannie de continuer à faire des ravages, sur le plan des nations, mais aussi des rapports sociaux, familiaux et personnels. C'est l'exact contraire du respect d'autrui.

Le respect d'autrui ne peut fonctionner sans le respect de soi, c'est-à-dire de notre humanité, en refusant de donner le pouvoir à notre ego, afin de le donner à notre âme. Ce refus doit se manifester d'abord dans les relations personnelles, en posant fermement un principe simple, qui est de ne jamais accepter l'inacceptable. Même au nom de l'amour - surtout au nom de l'amour, car ce serait accepter l'emprise de l'ego de l'autre sur soi. Cela n'est pas de l'amour, c'est du pouvoir, de la possessivité, de l'égoïsme, ce qui explique que cela débouche toujours sur la mort de l'amour.

Dissocier ces deux racines en nous, faire croître notre âme en excluant notre ego, est une porte de sortie dont nous n'avons encore jamais fait l'expérience.

Si nous la faisons tous ensemble, nous découvrirons avec surprise que toutes les souffrances qui nous écrasent sont générées par notre ego. Nous pourrons alors remplacer son joug par celui dont le Christ (=symbole de notre âme) affirme qu'il est doux et léger. "Ce que vous faites au plus petit d'entre vous, c'est à moi que vous le faites."

Cela pourrait bien signifier que notre âme (= que toutes les religions ont appelée "Dieu", avec des noms différents...) est la même à l'intérieur de chaque être humain - ce qui suppose que chaque être humain possède une âme. Dans les siècles précédents, nous nous sommes posé la question au sujet des noirs, et même au sujet des femmes. Je pense (j'espère) que cette question n'est plus d'actualité... On peut comprendre alors que si je blesse quelqu'un (par des paroles, des coups ou un comportement d'exclusion), je l'atteins dans son âme, qui est de la même essence que la mienne. C'est pourquoi je m'atteins moi-même en dernière analyse. Or, cette âme universelle que nous partageons tous (au delà des clivages de politique, de religion, de société, de sexe, de race ou de nation), cette âme ne peut s'épanouir - selon moi - que dans notre vraie nature, visible dans le nom que nous nous sommes donné: l'être humain. J'ai tendance à croire - je suis même persuadée - que la divinité que tant de gens recherchent, n'est rien d'autre que notre humanité.

En tous cas, cela pourrait être une hypothèse de départ, très facile à vérifier dans la vie courante. Car les résultats seraient très différents de ceux que nous connaissons, puisque le principe même de la supériorité (d'un individu sur un autre, ou d'un groupe sur un autre) serait mis à mal. Cette supériorité-là est une fausse valeur qui nous permet d'écraser autrui à partir du moment où il est jugé 'inférieur'. Le couple qui apparaît alors va toujours dans le sens du plus fort: Noble/serf, colon/indigène, patron/ouvrier, tyran/esclave, gourou/disciple, homme/femme, adulte/enfant.... et même sur le plan sportif : vainqueur/vaincu !

Or, la véritable supériorité est celle de l'âme sur l'ego. C'est la seule qui soit fiable et que nous devons reconnaître pour valable, si nous voulons sortir de l'impasse. Car chaque individu possède une âme, et en ce sens, chacun a droit au respect, avec cette précision indispensable que le premier respect est celui que nous nous devons à nous-mêmes, en mettant notre âme à la première place, avant notre ego. Celui qui applique cette loi naturelle ne se rendra jamais coupable d'injustice, et en cela, il rendra véritablement hommage à 'Dieu' (en lui obéissant) = en obéissant à son âme...

Le problème est presque risible, lorsqu'on réalise que nous pensons presque tous que croire en l'homme évacue forcément la croyance en Dieu. Le paradoxe devient crucial si ce que j'avance est juste : Dieu est notre humanité. Il ne peut se manifester en nous et autour de nous que si nous laissons s'épanouir cette humanité, si nous devenons pleinement et consciemment des êtres humains dignes de ce nom. C'est alors que nous deviendrons ce Dieu que nous implorons depuis toujours en vain, puisqu'il ne peut s'exprimer (et nous couvrir de ses bénédictions) tant que nous ne lui laisserons pas le pouvoir en manifestant notre humanité - qui nous rend semblables à lui.

Les religions, se voyant incapables d'installer le paradis sur terre, l'ont toutes repoussé dans l'autre monde, après la mort, et encore, sous condition d'avoir cru en un Dieu dont chacune assure que le sien est le seul à être authentique. Comment peut-on croire cela au XXIème siècle ? Dieu n'a pas de besoins par définition. La perfection exclut le manque. C'est nous qui avons besoin de lui. Or il est là, disponible, immédiatement accessible - s'il est notre âme.

(cf humanisme)

 

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