Un dossier douloureux sur l'anorexie.

Contenu.

On ne sait pas vraiment soigner l'anorexie. Mon approche est différente de toutes les autres méthodes, puisqu'elle pointe l'ego. Je le rends en effet responsable, dans la plupart des cas, de ce trouble alimentaire. Ce dossier contient donc un exemple précis, très douloureux, et qui comporte trois étapes. Les deux premières se sont soldées par un échec. La troisième est en cours (2004), et semble donner de l'espoir.

La patiente ayant très peu de rêves nocturnes, la thérapie se fait essentiellement avec le rêve éveillé (ou visualisation).

*

Première étape.

Marthe a 40 ans. Elle est en carence affective depuis toujours et devient anorexique vers l'âge de 13 ans. À sept ans, elle a subi une agression sexuelle de la part d'une personne étrangère à sa famille, puis, de 11 à 13 ans, des relations incestueuses, dont la fellation, de la part de l'un de ses frères aînés. Elle se vit comme une poubelle, et ne peut rien mettre à la bouche sans avoir envie de vomir. Mais elle a aussi des périodes de boulimie, où elle se jette sur du sucre et de l'huile, alors qu'elle ressent en même temps un profond dégoût. Elle ne contrôle rien et se sent suicidaire. Elle peut parler de son anorexie, mais il lui est pratiquement impossible de reconnaître sa boulimie.

Au bout de quelques mois d'un travail en profondeur sur les agressions sexuelles subies, elle arrête tout, disant que de toute façon, elle était déjà comme ça, avant même que son frère agisse ainsi avec elle.

Deuxième étape.

Elle revient me voir, prête à reprendre un travail qui, dit-elle, lui paraît malgré tout juste et vrai. Elle le compare avec ses différents séjours en hôpital psy, et estime que les anorexiques y sont traitées de façon très superficielle, puisque le but semble être uniquement la nourriture, alors qu'elle sent bien qu'il faut travailler les choses dans leurs racines.

Je me mobilise donc contre l'ego. Il prend la forme (entre autres) d'un énorme serpent, qui occupe tout son tube digestif. Qui est son tube digestif. Je lui demande de le sortir par la bouche, ce qu'elle réussit à faire, avec difficulté. C'est au cours de cette seconde étape qu'elle accepte de parler de ses crises de boulimie, et qu'elle les reconnaît en tant que telles. Durant toute cette période, elle m'assure que ses parents ne sont pas en cause, qu'elle leur a tout pardonné, qu'ils sont très gentils avec elle. Et toujours, elle ajoute que son mal-être vient de sa naissance. Elle sait que sa mère ne la désirait pas, et elle a le souvenir d'avoir poussé toute seule, sans exister vraiment.

Il est impossible de travailler une situation que le sujet dit être réglée, ou qu'il ne veut pas évoquer.

Au bout de quelques mois, elle vient à un rendez-vous, le visage fermé (comme la première fois), et m'annonce qu'elle ne croit plus aux images des rêves éveillés, que cela ne rime à rien, et qu'elle arrête tout, encore une fois.

Troisième étape.

Elle me rappelle en Octobre 2004. Elle a 42 ans. Elle a fait un séjour en hôpital qui s'est révélé catastrophique. Elle est décidée à en finir une bonne fois pour toutes.

- J'ai renoncé à tout, dépassé les limites du supportable. J'en ai assez de vivre. Plus rien n'attire mon attention. Tout m'est égal. Je viens à ce rendez-vous parce que ma mère me l'a suggéré. J'ai un malaise physique très fort, l'impression que mon cerveau flotte, littéralement. C'est indescriptible. J'ai démissionné de mon travail, comme de ma vie en général. Je n'ai plus de ressources, dans tous les sens du terme. Je ne prends plus mes médicaments... Je ne suis plus présente. Je voudrais que mes parents me laissent partir. J'en veux à mon père, parce qu'il m'a dit qu'il ne me survivrait pas. On ne peut pas obliger quelqu'un à vivre sous prétexte qu'on l'aime. Après tout, je n'ai pas décidé de ma naissance, je revendique le droit de décider de ma mort.

Elle vient pour faire le point avec moi, juste pour me tenir au courant, dit-elle. Je comprends sa décision, mais je lui propose de s'accorder trois mois, à raison d'une séance par semaine (le rythme de deux serait préférable, mais elle refuse). Passé ce délai, si rien n'a changé, elle mettra sa décision en oeuvre. Elle accepte ce marché, et me promet qu'elle ne se trahira pas jusqu'au terme de notre accord. Elle ajoute que ce sera très difficile, car elle n'en peut plus.

Je suis prête à commencer tout de suite, et lui suggère de visualiser un serpent. Je lui reparle de l'ego. Depuis notre dernière thérapie, elle m'avoue n'y avoir jamais repensé...

- J'ai toujours mal à la tête. Je sens un enveloppement total, que je ne peux pas maîtriser.

- Comme un casque ? une armure ? Elle hésite. - Je ne sais pas...

- Un chevalier en armure ? - Oui, dit-elle enfin. Physiquement, c'est ça. Je vois une armure, et de la lumière qui en sort. Elle vient de derrière. L'armure est comme une montagne. Moi, je me sens de plomb. L'armure est là, devant moi, comme un carcan... Un jour, un homéopathe m'avait dit qu'il avait été moine dans une autre vie. Puis, en me regardant bizarrement, il m'avait dit que moi, j'avais commis plusieurs suicides dans mes vies passées. Il en était désarmé, et ne voyait pas ce qu'il pouvait faire pour moi. Cela m'avait beaucoup frappée.

Sachant qu'elle est suicidaire depuis pratiquement toujours (elle a eu son premier anti-dépresseur à 7 ans), j'essaie de lui expliquer que nos vies antérieures ne sont probablement rien d'autre que notre vie passée, depuis notre naissance. Les suicides qu'il avait ressentis, n'étaient sans doute que l'état suicidaire qu'elle avait toujours eu en elle, dans son 'passé antérieur'.

- C'est important, ce que vous dites là. Personnellement, je ne crois pas trop à toutes ces théories sur la réincarnation. Vos paroles me rassurent. Elles me semblent connectées à ma réalité, et cette réalité devient plus accessible. Je ne connais pas la vraie Marthe, mais je sens que je peux m'appuyer sur vos paroles...

Je lui demande alors de visualiser son propre utérus, afin de faire apparaître le bébé qu'elle a été, et qui est toujours en elle aujourd'hui. - Il faut que quelqu'un s'occupe enfin de lui. Et qui d'autre que vous peut le faire ?

- J'ai du mal à l'imaginer. Pourtant, on met le doigt sur quelque chose de juste. Mon isolement, dès les premiers jours de ma vie. Il faut revenir sur ce départ, virtuellement, c'est la seule façon. Il faut que je me mette dans la tête de suivre cet objectif. Je n'en ai aucun, et cela devient insupportable. C'est difficile d'accepter de venir vous voir régulièrement. Mais je m'y engage. Et ce n'est pas rien...

- On ne peut pas avancer avec une armure aussi lourde. C'est elle qui vous pèse, et vous immobilise. Essayez de l'enlever.

- Ce que vous dites est vrai. L'homme-armure descend de cheval, et il ne peut pas marcher. Elle est trop lourde. Comme moi. Je ne peux pas utiliser mes jambes pour véhiculer mon corps. Car je ne l'habite plus. Moins je m'habite, plus c'est difficile de me mouvoir... En fait, il n'y a personne.... Je suis à côté de l'armure... C'est important que quelqu'un m'entende, quand je dis que je veux mourir...

- Essayez de voir une forge, et faites-y fondre l'armure. Elle ferme les yeux. - Non. Je ne peux pas. Elle reste là, elle est très encombrante. Je suis l'armure. - Non, vous êtes bien trop fragile pour être cette armure. Voyez-vous à côté. Faites venir un forgeron pour la casser. - Ce n'est effectivement pas juste de dire que je suis cette armure... C'est quelque chose d'indépendant de moi... Le forgeron ne fait rien. - Voulez-vous vraiment la casser ?

- Je suis volontaire... Oui, d'une certaine façon, elle devient cabossée, mais reste debout. C'est déjà quelque chose... C'est étonnant comme on peut arriver à y croire...

Deuxième séance.

Elle dit qu'elle est "débranchée". Elle qui avait toujours vécu pour aider les autres (ses parents, sa soeur, une relation sentimentale), elle ne peut plus. Cela se voit sur son visage. Elle est complètement à bout.

- Je ne souffre même pas. J'ai débranché. La carte que vous me proposez de jouer ne me concerne pas. Qu'est-ce que ça va donner ? Vous ne pouvez pas faire les choses à ma place. Je n'attends plus rien, ni de vous, ni de personne. Je ne suis plus dans le monde des humains. Je fais même un effort pour parler.

Je lui propose de visualiser le serpent, l'armure, un bébé. Elle ne voit rien. Je ne sais plus par quel bout la rattraper. Elle avait vaguement évoqué un homme qui l'avait dupée, très récemment. Je tente cette piste. - Parlez-moi de votre dernière relation sentimentale. Elle accepte volontiers. Il s'agit d'un légionnaire qui l'a exploitée sans vergogne, a squatté son appartement, a eu un accident avec sa voiture, et l'a finalement quittée quand elle l'a mis à la porte, en emportant sa clé. Je lui propose de le visualiser, et de l'écraser virtuellement. Elle rit.

- Oui, je le vois. Cela me ferait du bien, de le réduire en bouillie. C'est vrai qu'il m'a trahie. Je l'imagine en miniature. C'est un colosse, en réalité. Ecraser un mec comme ça, ce n'est pas évident. Je le vois sur une photo. Il est de plus en plus petit. Il disparaît.

Je lui explique que c'est son ego qui a choisi ce garçon-là, et que, si elle le rappelle, c'est en fait son ego qui apparaîtra, car il se cache derrière le visage de cet homme.

- Oui. Je l'ai devant mes yeux, ce con. Sûr qu'il faudrait que je comprenne mieux la stratégie de l'ego. Il y a des choses justes, dans ce que vous dites, mais je n'y attache pas assez d'importance. Une image me revient. C'était dans un rêve de cette semaine. Il y avait un chat noir qui s'accrochait à moi. J'étais bien avec lui, et lui avec moi.

- Méfiez-vous. L'ego est un animal. C'est lui qui s'accroche à vous. Vous, vous êtes un être humain. Ne lui faites pas confiance. C'est encore un leurre. - J'ai conscience, dit-elle, que cela peut être une clé, et qu'il n'y a que moi pour l'exploiter.

Je saute sur le mot. - Voyez cet homme et dites-lui de vous la rendre, votre clé ! La clé de votre appartement symbolise parfaitement la clé de vos propres fonctionnements, la clé de votre âme, qui vous a été volée par votre ego. Récupérez-la virtuellement, et vous verrez que vous la récupèrerez aussi sur le plan extérieur.

Elle rit. - Il faut que je m'adresse à l'ego. C'est un vrai salaud. Si je ne me dissocie pas de lui, je suis en danger de mort. Mais je n'ai pas de signal d'alarme. Il faudrait que je garde à l'esprit que ce n'est pas à 42 ans qu'on est en fin de vie. Le problème, c'est que je n'ai aucune motivation pour continuer.... Je lui propose de voir le chat et de le faire disparaître.

- Oui, dit-elle. je le réduis avec la souris (de l'ordinateur). C'est amusant. Elle rit. Ce qui m'amuse aussi, c'est l'histoire de la clé. On est en bas de chez moi. Il l'a mise dans ma boîte aux lettres...

J'ai réussi à raviver son intérêt, presque par hasard. Elle reviendra.

Troisième séance.

- Je ne me suis jamais approprié ma propre vie. Je comprends qu'il est nécessaire de voir cette petite fille, et de lui accorder le droit de vivre, d'une certaine façon. J'ai toujours baigné dans l'anti-vie. Ma mère ne me voulait pas. Je l'ai toujours su...

Je lui propose de faire apparaître la petite Marthe. - Où peut-elle bien être, demande-t-elle. Je ne sais pas où la voir. Dans un placard? Il n'y a pas de place pour elle dans mon appartement. J'ai été muette ou agressive, cette semaine, ajoute-t-elle en changeant de sujet. Je me sens complètement inaccessible, imperméable. Et je n'ai pas fait de rêves...

- Pourriez-vous voir la petite fille ? Elle souffle, un peu excédée. - Je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Je ne cherche plus à ménager mes parents. Je ne veux plus me prendre la tête à cause d'eux. Votre aide, je n'en fais rien, ça ne me branche pas, je ne veux pas faire d'effort, et personne ne peut agir à ma place. Je ne vois rien, j'ai souffert gratuitement, pour rien, et je ne peux adhérer à rien. Je suis comme un bouchon sur l'eau. Je flotte, je n'ai de prise sur rien, je n'étouffe même pas. Je suis gentiment en train de mourir...

Comment la rattraper ? Je lui demande si elle a un souvenir d'enfance agréable.

- J'avais un chat tigré. Il s'appelait Mandarin, je l'aimais beaucoup et il me le rendait bien. Un jour, il s'est fait écraser par une voiture, mais il s'en est sorti. Ensuite, il a mangé une souris empoisonnée, et il en est mort...

Bon. Parlons-en. Je lui expose ma théorie sur la relation maître-animal. Elle s'était projetée dans son chat, et du coup, il lui affichait à travers les événements de sa vie de chat, ce qu'elle vivait elle-même dans sa vie de petite fille. Elle était 'écrasée', niée, elle n'existait pas vraiment, et Mandarin, avec l'accident, le lui avait montré aussi clairement que possible. C'était son rôle de chat, de vivre dans son corps ce que vivait sa maîtresse dans son âme. Elle est surprise. "Jamais je n'aurais fait un tel rapprochement, dit-elle, mais c'est vrai que ça semble fonctionner. C'est comme l'histoire de ma clé. Il y a du sens, là-dessous... Et la souris empoisonnée ?"

- Parce que la souris peut s'enfiler dans un trou, elle symbolise souvent le sexe masculin. Les abus sexuels que vous avez subis, que vous subissiez à ce moment-là de votre vie, peuvent parfaitement être connectés à la souris empoisonnée qui a fait mourir votre chat, parce que cela avait détruit votre petite âme d'enfant. De plus, vous n'aviez rien dit, ne pouviez rien dire, et cela est un poison qui s'ajoute au pécédent.

- C'est étrange, dit-elle, c'est incroyable, le parallèle que vous faites... Jamais je n'aurais pensé à un truc pareil...

Encore une fois, je l'ai récupérée, de justesse. "Voyez votre chat, et faites-lui cracher ce qui l'a empoisonné, et qui vous empoisonne encore." - Il l'expulse tout seul, dit-elle. Il est content. Il sourit. C'est trop rigolo !

- Vous sentez qu'il s'agit de vous ? - D'une certaine façon, oui... Mais ce qu'on fait de positif ici, ajoute-t-elle, ça se retourne contre moi après. C'est comme une vengeance de la part de l'autre, parce qu'il a été mis sous projecteur. Et c'est très difficile à vivre. Il me dit des choses horribles, style: "Jette-toi par la fenêtre, ou tape-toi la tête contre les murs, ou suicide-toi..." Parfois, la nuit, j'ai terriblement envie de vous téléphoner pour me sauver de lui...

- Dans ces cas-là, visualisez un cafard et écrabouillez-le.

Elle le voit immédiatement et fait même le geste du pied, par terre, pour l'écraser. Elle s'en va, certaine d'avoir le retour du bâton.

Quatrième séance.

- Je ne veux plus voir mes parents. Je ne veux plus être la petite fille qui répare leurs souffrances. J'ai bien assez de moi-même. J'arrête. Je fais un vrai rejet vis- à-vis d'eux. J'ai eu un terrible retour de manivelle après notre dernière séance. Envie de me foutre en l'air en voiture. Désespoir sans fond. J'ai dépensé 9 euros de nourriture, que j'ai 'bouffée' puis vomie. Rage terrible contre moi-même. Il faut vraiment que je m'accroche pour venir. Je risque ma vie sur la route. Dans ma cervelle, ça va très mal. Mon cerveau flotte plus que jamais. Il est comme en apesanteur, si bien que j'ai beaucoup de mal à descendre un escalier, ou à conduire, car je ne me situe plus sur la route. Je ne vois plus rien autour de moi, je n'ai pas d'avenir, je ne vis pas. C'est l'enfer. Je ne supporte plus mes parents. Je me suis imposé le rôle d'enfant réparateur. C'est insoutenable. Je suis odieuse avec eux, je le sais, et je ne peux m'en empêcher.

J'essaie de la rassurer. Cela me paraît être une étape indispensable. Elle ne peut agir sur tous les fronts. Il faut qu'elle se mette à la première place. Elle qui n'a jamais fait de crise d'adolescence, aujourd'hui, tout à coup, elle se le permet. C'est très bien et je l'encourage, lui certifiant que le retour à une relation normale pourra se faire ensuite, et se fera certainement. "Vous leur aviez pardonné, mais vous aviez du coup oublié la petite fille qui n'avait pas eu ce à quoi elle avait droit. C'est elle, aujourd'hui, qui s'exprime, et qui est à la source de votre rejet. Laissez-la s'exprimer. Elle en a besoin pour exister. C'est un passage obligé."

- Mon plus ancien souvenir, c'est la solitude. Ma mère était tellement accaparée par mes aînés, que j'avais compris qu'il me fallait être très sage, et ne pas pleurer. J'étais terrorisée, quand mes parents partaient, car je devenais alors la proie potentielle de mon frère aîné, même si cela ne se produisait pas chaque fois... J'en ai passé, des heures à me balancer, seule et mouillée dans le noir, en attendant qu'on vienne me chercher. D'ailleurs, j'ai fait pipi au lit jusqu'à 21 ans...

Je lui demande de voir ce bébé qu'elle a été, et de s'occuper de lui.

- Je me vois, dit-elle. Je suis accroupie près du berceau, mais je ne peux pas la prendre dans mes bras. Il fait noir, ça sent le pipi. Je sens sa détresse, mais il n'y a pas de table à langer. Pourquoi cela m'est-il si difficile ? Vous me donnez la clé pour réparer, et moi... je reste indifférente. Non, pas indifférente. Je ne crois pas que ce soit moi. Je vais m'acheter une poupée. Je jouais beaucoup à la poupée et je les traitais toujours très bien. Mes frères, eux, les brutalisaient. Cela me faisait souffrir.

- Voyez vos frères, réduisez-les et écrasez-les. Ils sont des modèles pour votre ego, qui continue à se conduire à l'intérieur de vous comme vos frères se sont conduits pendant votre enfance...

Elle change de sujet, me parle de ses difficultés financières. (Je précise ici que nos séances sont gratuites). Je la ramène à ce bébé qu'elle a été.

- J'ai de la répulsion pour lui. Non, je ne peux pas. C'est un bébé taciturne, trop sage, au regard triste. Je suis indifférente, avachie auprès de lui.

À mon avis, la Marthe qu'elle visualise n'est pas elle, mais son propre ego, qui refuse de prendre en compte sa petite enfance. Elle semble d'accord. "C'est un vrai salaud. Il m'enlève même la motivation de le chasser. J'efface ma mère, qui est assise au bord du lit. Je mets ma tête contre celle du bébé. Il me tend les bras, je le serre contre moi. Il est tout mouillé."

Elle a une émotion, qui lui fait monter les larmes aux yeux. C'est bon signe. "C'est tout ce que je peux faire pour l'instant. Elle est contre moi. Je la sens, plus que je ne la vois. Quelque chose me manque aujourd'hui. (Emotion). Quelque chose qui m'a toujours manqué. Que quelqu'un me prenne dans ses bras... Il y a vraiment une connection entre ce bébé et moi... (Un silence). J'ai bien compris le fonctionnement de mon ego. J'en ai marre de cohabiter avec lui. Jusqu'à maintenant, je croyais que c'était moi. Et ce n'est pas moi. Il faut que j'arrive à m'en convaincre. À chaque séance, il faut que je revoie vos explications, pour me souvenir et recomprendre ses stratégies. Il a le réflexe de m'écarter de tout ce qui me ferait du bien. Il faut que je me repositionne chaque fois. Il faut que je fasse un énorme effort pour me différencier de lui. (Elle rit). Si je le fais, je pourrai peut-être me reconstruire et me protéger de lui.

- L'ego fonctionne sur la peur. C'est son fonds de commerce, si j'ose dire...

- Un jour, il y a longtemps, au cours d'un séjour en Israël, un caméléon m'a fait hurler de terreur. Il était tellement sous mon nez, que je ne l'ai pas vu. Il m'a sauté dessus... Et ensuite, impossible de le retrouver. J'y ai pensé cette semaine, et je me suis dit que l'ego était un caméléon.

L'analogie est parfaite. Car il est à l'intérieur, carrément sous notre nez, et c'est certainement pour cela qu'on ne le voit pas. C'est ce qui lui permet de nous terroriser. Encore une fois, l'événement extérieur était la parfaite description de sa situation intérieure. La différence, aujourd'hui, c'est qu'elle le sait, et donc, elle peut le 'voir' virtuellement. Je lui demande de le visualiser, et de le passer au lance-flammes de sa colère. "Incendiez-le !"

- Oui, dit-elle. Je le vois. Couleur de branche. Je voudrais l'écraser, mais je ne peux pas, tellement ça me dégoûte. Je prends un chalumeau... Il est calciné. C'est regardable. Je le vois comme dans mes cauchemars. Viande pourrie, chat écrasé, charogne... Je suis choquée par les parallèles entre ce qui nous arrive et ce qui se passe en nous. C'est très déroutant, cela me laisse abasourdie. Il y a là quelque chose de criant de vérité. Et pourtant, personne n'y pense jamais...

À la fin de l'entretien, je lui confie un poupon. "Prenez soin de lui. Il symbolise la petite Marthe. Aimez-la à travers lui. Aimez-vous à travers elle."

Cinquième séance.

- Je suis de nouveau distante, froide, agressive, muette. Je lutte contre l'idée de m'en aller. J'en ai marre. Je vous ramène votre poupon. Je l'ai beaucoup maltraité. Je l'ai roué de coups. J'ai bouffé des saloperies, que j'ai prises dans une poubelle. Je me sens bouffée de l'intérieur. Je n'ai pas dormi, j'ai transpiré, les nuits sont longues... Question stupide : Qu'est-ce que c'est, l'ego ?... C'est l'ennemi intérieur ?

Je remarque qu'elle pose la question, alors qu'elle connaît la réponse. "C'est lui qui a frappé le poupon. Comme il symbolisait le bébé en vous, votre ego l'a roué de coups. Vous le comprenez ?"

- Et quels sont les points communs avec Dieu ? Ma conscience ?... Là encore, elle connaît la réponse. C'est bon signe, me semble-t-il. "Si l'ego est symbolisé par le diable, Dieu symbolise notre âme, notre coeur, notre identité humaine." Elle semble d'accord. Elle ajoute d'autres mots: antidote, amour, espérance, vie...

- Je voudrais me coucher et ne plus me réveiller. Ce serait l'idéal. Je vois celle qui fait le mal, je suis en colère contre moi tout le temps, je suis plus l'ego que moi. Mais il n'y a pas de frontière entre lui et moi. Je suis comme un bloc. Je me sens de plus en plus déconnectée, sans repères horaires. Je me dis qu'il faudra peut-être que je retourne à l'hôpital.

- En avez-vous envie ? - Non. Cela ne me convient pas. Du tout. Je suis une poubelle. Je voudrais me gommer. Je me rends compte qu'aimer ne sert à rien. J'ai envie de me foutre des coups. C'est de plus en plus difficile. On en reste là. J'étais pas bien avant de venir. Je n'aurais pas dû faire le trajet. Je m'obstine à vouloir aller mal. Vous me faites suer, avec vos visualisations. (Elle rit). Je ne peux pas. Je voudrais m'oublier, je ne peux plus me supporter.

Elle part, et cette fois-ci, je n'ai pas pu me connecter à la véritable Marthe. Je me demande si elle reviendra.

Sixième séance.

Elle est revenue... "Je passe des heures prostrée, à me balancer. Je me rends compte que je n'arrive plus du tout à vivre. Je ne pense qu'à me suicider. Cela m'empêche même de dormir. Je n'ai que ça dans la tête. Que ça. Je me rends compte que ça dysfonctionne dans ma tête. Dois-je vraiment accepter votre proposition ? Il faut que je tienne bon, mais... vais-je y arriver ? Je me bats, mais j'ai renoncé à trop de choses. Je ne suis plus dans la réalité. Les choses qui me paraissent normales ne le sont pas du tout..."

Elle est visiblement partagée entre le désir de vivre de la vraie Marthe, et la volonté de mourir de la fausse. Il me semble qu'il y a là une petite ouverture, une faille de son ego. Quelque chose en elle veut vivre, puisqu'elle se bat. Je tente la visualisation de l'intérieur du crâne, pour lui permettre de prendre conscience de son ego. C'est lui qui est responsable de ses obsessions dans la tête.

- C'est une caverne, dit-elle. Il y a des coudes, des recoins, des renfoncements. Tout est sombre. (Je lui propose de mettre de la lumière). Non, je ne peux pas. Je ne vois que du noir. Je tâte avec mes mains et mes pieds. Ce noir est inattendu. Je suis comme aveugle.

J'insiste pour faire apparaître de la lumière. C'est le symbole du conscient, et si elle prend conscience du sens de ce qu'elle voit, elle pourra faire apparaître une clarté. Elle est dans sa tête, là où on comprend les choses. Son ego est quelque part, qui veut l'en empêcher. Si elle insiste, elle doit pouvoir réussir à éclairer toute cette obscurité qui symbolise son propre inconscient.

- Je pense à des bougies de Noël, comme quand j'étais petite. C'était un émerveillement, un plaisir qui me réchauffait le coeur. Là, je vois des petits lampions. Cela éclaire les murs, le sol caverneux. C'est une grotte. Elle est froide.

Je lui demande si je me suis trompée. Est-ce finalement plutôt l'utérus maternel, dans lequel elle se trouve toujours symboliquement ? Je lui suggère de chercher un boyau ou une sortie.

- Je me déplace un peu, pour aller voir ailleurs. Je pourrais m'engager dans des boyaux, mais sans issue certaine. (Je lui conseille d'en essayer un). Je vais crapahuter avec un lampion. C'est fou comme on peut se perdre. Cela me fait penser à mes angoisses que j'ai parfois pendant des jours entiers. Je suis comme coincée, paralysée. J'ai même les oreilles bouchées.

- Est-ce à la fois le mental et l'utérus ? Je suis un peu perdue, moi aussi, et ne sais absolument pas de quoi exactement votre inconscient veut vous faire prendre conscience. Est-ce la tête et ses cinq ouvertures ? Il y a la bouche, les oreilles, le nez. Etes-vous dans un de ces boyaux-là ? Ou bien est-ce l'utérus ?

- Je pencherais davantage pour la tête, alors, dit-elle. Je suis très capable de passer à l'acte, presque sans m'en rendre compte. Je suis restée deux heures à l'entrée de l'autoroute, puis je suis revenue chez moi, sans avoir mis mon projet à exécution. J'avais l'envie d'aller jusqu'à la mer, puis de nager vers le large jusqu'à épuisement. (Je lui demande de reprendre la caverne, et de trouver la sortie). Je ne sais pas où elle peut être, dit-elle. J'ai peur que ma bougie s'éteigne. Je ne vois rien, dans le boyau où je suis. Il ne mène nulle part. - Très bien, alors rebroussez chemin. - Mon ressenti ne peut pas me tromper ? - Je ne crois pas. Faites-vous confiance. S'il n'y a pas d'issue, vous le sentez. - Bon. Je vais faire demi tour. C'est éprouvant. Je fais marche arrière, mais c'est toujours aussi difficile. (Elle souffle). Je suis empêtrée. Je ne veux pas y mettre de la mauvaise volonté, mais...

J'ai le sentiment que ce qu'elle est en train de voir symbolise la décision de son ego d'aller la noyer en pleine mer. Elle savait que cela ne la mènerait nulle part, et avait peur que sa dernière lueur de conscience s'éteigne. En un sens, elle avait effectivement rebroussé chemin, mais elle était toujours aussi empêtrée dans le réseau maléfique de sa méchanceté étroite et bornée. Je devine qu'il faudrait qu'elle le voie, qu'elle essaie de lui régler son compte. - Voyez le serpent et détruisez-le pour avoir le champ libre.

- J'ai retrouvé l'endroit des autres bougies, dit-elle sans répondre à ma proposition. Je vais rester là. Il y a davantage de lumière. Je n'ose plus m'en éloigner...

Je lui explique qu'elle se trouve devant sa vérité intérieure, symbolisée par les lumières. Mais il faut qu'elle sorte de cette situation. "Mettez une bougie devant chaque boyau. Si la lumière vacille, c'est qu'il y a un appel d'air, et donc une ouverture au bout." (Pour moi, il n'y a rien là d'exceptionnel. Les images envoyées par l'inconscient sont la vérité intérieure du sujet. C'est pourquoi des détails comme celui-ci, directement connectés à une réalité extérieure, peuvent parfaitement fonctionner).

- J'en prends plusieurs, je les mets devant chaque boyau... (silence) Toutes se sont éteintes. Il n'en reste qu'une. Je vais aller voir là où ça s'est éteint, on verra bien... J'avance dans mon boyau. je sais pas si je vais sortir. - Si c'est le col de l'utérus, vous allez sortir dans la lumière du jour... - J'avance. Je ne sais pas où je mets les pieds. Pourquoi n'ai-je pas pu sortir de l'utérus ?

- L'amour est la nourriture qui fait grandir l'âme d'un enfant. Vous en avez manqué, c'est pourquoi votre âme est restée 'petite'.

- Et si j'en sors, je n'y retournerai plus ?... J'explique que le cordon peut repousser tant que les parents sont vivants. Il suffit pour cela qu'ils cherchent à réinstaller leur pouvoir sur leur enfant devenu adulte. Ils le font généralement sans s'en rendre compte. Mais je ne crois pas que ses parents à elle puissent agir ainsi. Ils seront trop contents de la voir enfin indépendante.

- Vous allez rire, me dit-elle brusquement, mais j'ai l'image du grand poisson de Jonas. C'est moi qui viens de sortir par sa gueule. Je me suis sentie passer entre ses dents, grâce à un flux qui me portait... Je nage vite vers le rivage.

Je suis sidérée, mais en même temps, la pertinence de l'image est remarquable. "Votre ego vous avait bouffée, littéralement. Dans l'histoire de Jonas, effectivement, le monstre marin était son ego, selon la symbolique des rêves. Son histoire est très intéressante, de ce point de vue. Votre ressenti prouve que l'ego est capable de 'bouffer' l'être humain à l'intérieur duquel il se trouve, et l'image que vous venez d'avoir m'apporte une sorte de preuve que mon interprétation était juste. Vous venez de lui échapper, tout comme Jonas, il y a trois ou quatre mille ans. Bravo !

- Oui. Je ne pouvais pas continuer comme ça... C'est trop difficile... Curieusement, je ne suis pas mieux... Je suis assise sur le sable, au bord de l'eau.

J'essaie de comprendre. Echapper à son ego est une chose, faire apparaître sa véritable identité en est une autre, et cela devrait être possible, maintenant. Je lui demande donc si, par hasard, il n'y aurait pas un bébé à côté d'elle. Après un court silence, elle parle de nouveau. - Comme un moïse, un berceau ?... Oui, je le vois. J'attrape la corbeille... Il y a un bébé dedans... C'est Moïse sauvé des eaux. (Elle rit). C'est ridicule, non ?

- Bien sûr que non. Ce bébé, c'est vous, c'est probablement votre véritable identité, que vous venez de sauver des 'dents de la mer', de votre ego-requin. Vous devez sentir qu'il s'agit vraiment de votre Moïse intérieur, celui qui peut sauver le 'peuple' (=votre âme) de la cruauté de l'ego. Votre ressenti est très juste. C'est votre vérité, comprenez-le... Avez-vous de la compassion pour ce bébé ?

- Je lui caresse le visage... Je ne le prends pas dans mes bras... Il gazouille.... Si je le laisse, il ne va plus gazouiller... Je suis obligée de le prendre, maintenant que je l'ai vu... Il est vulnérable, si je ne fais rien, c'est comme si je le tuais...

Je lui répète ses paroles, en lui expliquant qu'en fait, elle parle d'elle : ... Je suis vulnérable, et si je ne fais rien, c'est comme si je me tuais...

- Je suis d'accord pour m'occuper de lui, reconnaît-elle, bien sûr... Je le prends contre moi, et j'avance. Il est contre moi, et moi tout près de lui... Et c'est suffisant. - Vous sentez-vous un petit peu mieux ? - Elle rit. - Une partie de moi est blindée. Comme s'il y avait du fer forgé partout. Je n'ai pas de sensation au premier abord. Mais ce petit enfant, je le sens contre moi... Je ne sais pas où je l'emmène, mais il est là, et je suis là... C'est tout ce que je peux vous dire.

- Essayez de visualiser votre cerveau. - Je ressens le reproche d'avoir autant avancé... Je vois de la gélatine rose. - Ce n'est pas votre cerveau. C'est l'ego. Effacez-le. - Dessous, je vois mon cerveau. Blanc, compact, d'une allure moins repoussante. - Lavez-le avec l'eau vivante de votre propre inconscient. Il a besoin d'être dépollué. - Oui, ça lui fait du bien... Maintenant, j'ai l'impression d'avoir les idées plus fraîches. C'est virtuel, bien sûr... mais il s'aère. Tout ce qui était visqueux et rose a disparu. - Peut-il réfléchir sainement ? - Oui. Mais il flotte. C'est désagréable et gênant au possible. - Essayez encore de le connecter à la moëlle épinière, pour le sécuriser, ou bien faites-lui occuper toute la cavité crânienne, pour qu'il ne puisse plus bouger. (Nous avions déjà essayé cette visualisation, mais elle n'avait pas donné de résultats sur le plan concret).

- Comme j'ai enlevé la gélatine, je fais grossir mon cerveau afin qu'il prenne sa place. Je le vois bien ancré par les cervicales... Je vais savoir s'il flotte toujours quand je conduirai, ou quand je descendrai les escaliers. (Elle se lève, fait le tour du fauteuil). C'est étonnant... Je me sens mieux...

Je lui dis à quel point je suis impressionnée par le travail que nous venons d'accomplir. Cela devrait donner des résultats positifs. - Il faut lui tordre le cou une bonne fois pour toutes, dit-elle, parce qu'il est allé trop loin.

C'est la première fois que j'ai le sentiment que Marthe a vraiment pris son intérêt entre ses mains, qu'elle a vraiment basculé du côté de son propre camp. Et j'ai bon espoir qu'elle ne passe plus à l'ennemi.

Epilogue

Le mieux-être (dont j'avais malgré tout douté) s'est réellement produit. Toute son agressivité vis-à-vis de ses parents est retombée. Sa mère a ressenti cela comme une véritable renaissance. Marthe, quant à elle, a ressenti qu'un vrai détachement s'était opéré en elle. Elle a recommencé à leur rendre visite et à leur parler. Pour la première fois de sa vie, elle ne cherche plus à leur cacher des choses. Son cerveau ne flotte plus dans sa tête et, autre grande surprise, elle s'est mise à rêver.

Pourtant, cette thérapie a finalement été un échec. Je n'ai plus eu de nouvelles de Marthe depuis longtemps. (décembre 2008)

 

*